L’avenir de la fonderie Horne a pris une tournure incertaine cette semaine, replongeant la population de Rouyn-Noranda dans ce cruel dilemme entre la santé publique et l’essor économique de la région. Après un long et laborieux débat sur ces questions, il ne devrait plus y avoir de doute sur les comportements attendus de l’entreprise. La santé de la population établie au pied de ses cheminées ne peut plus faire l’objet de compromis.

Citant à l’appui des notes internes du ministère de l’Économie, Radio-Canada révélait que Glencore, la multinationale anglo-suisse qui détient la fonderie Horne, remet en question son engagement d’investir massivement pour réduire les émissions d’arsenic. « La fonderie Horne semble être à la croisée des chemins et son avenir sera vraisemblablement décidé au cours des quatre prochaines semaines », explique le document du ministère de l’Économie du gouvernement du Québec.

Le coût du projet visant à réduire les émissions d’arsenic est passé de 500 à 750 millions de dollars, en hausse de 50 %. La multinationale se dit aussi préoccupée par la prévisibilité et la stabilité de l’environnement d’affaires au Québec. En bon français, elle se demande s’il vaut la peine d’investir dans la mise à niveau de l’usine en sachant que les normes environnementales sont appelées à être resserrées d’un cran dans un futur rapproché.

La Santé publique et le ministère de l’Environnement ont fixé la cible d’émission d’arsenic par la fonderie Horne à 15 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m³) d’ici 2027. C’est bien au-dessus de la norme québécoise de 3 ng/m³ à laquelle la fonderie devra éventuellement se conformer. À titre indicatif, elle a émis en moyenne des émissions de 47 ng/m³ l’an dernier. Ce contexte nous aide à comprendre que la barre est haute pour une entreprise qui évolue dans un cadre international. Dans le secteur minier, il y a toujours un pays qui sera prêt à tolérer les excès de l’exploitation, au risque de la santé des écosystèmes et des populations, en échange de retombées économiques.

Il est difficile de voir si la frilosité de Glencore est une menace sérieuse ou un bluff pour faire avancer ses intérêts. Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a rappelé que Glencore avait des obligations à respecter si elle veut continuer à exploiter sa fonderie. « Ce n’est pas une question d’investissement, c’est une question de résultats », a-t-il dit. Québec ne semble pas disposé à jouer sur les normes à l’avantage de la fonderie au-delà de l’horizon 2028.

Les leaders locaux ont également témoigné de leur exaspération. La mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, juge tout à fait « inacceptable » la remise en question du projet, d’autant plus que l’entente prévoyait aussi la relocalisation de 200 familles hors du périmètre immédiat de la fonderie, à un coût de 58 millions de dollars assumé par Québec. L’ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue et co-porte-parole de Québec Solidaire, Émilise Lessard-Therrien, a enjoint au gouvernement Legault de ne pas céder aux menaces.

La fonderie Horne possède un statut unique. C’est la seule fonderie de cuivre au Canada, et la seule sur le continent à utiliser du matériel recyclé. Dans le vaste chantier de l’électrification du gouvernement Legault, elle revêt un rôle stratégique dans la production de matériaux critiques. C’est aussi un employeur majeur à Rouyn-Noranda, générateur de 600 emplois directs et de 1400 emplois indirects. La fermeture de la fonderie Horne entraînerait aussi celle de l’affinerie CCR, à Montréal-Est, génératrice de 550 emplois.

Personne dans la région ne souhaite la fermeture de la fonderie. Mme Lessard-Therrien a résumé le sentiment général en soulignant que la multinationale possède la marge financière nécessaire et le soutien des gouvernements pour faire la transformation. Les crédits d’impôts pour la modernisation de la fonderie totalisent 275 millions sur la facture de 750 millions. La moindre des choses, c’est que la multinationale respecte les normes environnementales et qu’elle fasse preuve de responsabilité sociale dans l’exploitation de sa fonderie.

Les citoyens de Rouyn-Noranda ont assez payé de leur santé et de leur vie les coûts de l’exploitation minière. Selon les données de la Santé publique, l’espérance de vie y est inférieure à la moyenne québécoise, les bébés de faible poids y naissent en proportion plus élevée et les maladies pulmonaires et les cancers du poumon y sont observés en plus forte prévalence que dans le reste du Québec. La présence dans l’air de métaux tels que le nickel et l’arsenic sont encore en cause.

La transition énergétique et l’exploitation minière ne peuvent plus se faire au détriment de la vie humaine. Au terme d’un long processus marqué par les accommodements, la négociation patiente des cibles et le versement d’incitatifs fiscaux, si Glencore n’arrive pas à adhérer au cadre environnemental québécois, aussi bien se rendre à l’évidence : elle n’y parviendra jamais.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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À bout de patience devant la fonderie Horne

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16.02.2024

L’avenir de la fonderie Horne a pris une tournure incertaine cette semaine, replongeant la population de Rouyn-Noranda dans ce cruel dilemme entre la santé publique et l’essor économique de la région. Après un long et laborieux débat sur ces questions, il ne devrait plus y avoir de doute sur les comportements attendus de l’entreprise. La santé de la population établie au pied de ses cheminées ne peut plus faire l’objet de compromis.

Citant à l’appui des notes internes du ministère de l’Économie, Radio-Canada révélait que Glencore, la multinationale anglo-suisse qui détient la fonderie Horne, remet en question son engagement d’investir massivement pour réduire les émissions d’arsenic. « La fonderie Horne semble être à la croisée des chemins et son avenir sera vraisemblablement décidé au cours des quatre prochaines semaines », explique le document du ministère de l’Économie du gouvernement du Québec.

Le coût du projet visant à réduire les émissions d’arsenic est passé de 500 à 750 millions de dollars, en hausse de 50 %. La multinationale se dit aussi préoccupée par la prévisibilité et la stabilité de l’environnement d’affaires au Québec. En bon français, elle se demande s’il vaut la peine d’investir dans la mise à niveau de l’usine en sachant que les normes environnementales sont........

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