Dès la publication du rapport d’un groupe d’experts indépendants sur la souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a annoncé son intention de légiférer pour que le contenu québécois trouve sa juste place sur les plateformes en ligne. Il était temps.

Le Québec se gargarise depuis longtemps de la fierté pour sa langue et sa culture distinctes en Amérique, mais, comme bien des États sur le continent, il contemplait béatement l’irrépressible avancée de l’industrie culturelle américaine sur les plateformes numériques libérées des règles et des contraintes de l’ancien monde analogique. Nous recevons le résultat de notre inaction collective en plein écran, chaque fois que nous cherchons en vain un peu de nous sur les plateformes de diffusion en ligne. Essayez pour voir de faire découvrir le cinéma québécois — classique ou contemporain — à vos enfants sur les plateformes de diffusion en continu étrangères. Vous les trouverez au compte-gouttes, à la périphérie lointaine de la galaxie numérique. La même chose vaut pour la musique ou la télévision d’ici. C’est un enjeu majeur pour la vitalité de la culture francophone et l’essor des créateurs.

Entrent en scène quatre experts mandatés par Québec pour déterminer des pistes d’action : Clément Duhaime et Louise Beaudoin, respectivement ex-directeur de cabinet et ex-ministre pour le Parti québécois qui ont fait carrière dans les cercles diplomatiques de la francophonie internationale, Véronique Guèvremont, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, et son collègue Patrick Taillon, spécialiste de la Constitution et de la démocratie.

Le fruit de leurs réflexions est à mi-chemin entre la pédagogie sur la longue marche du Québec pour l’autonomie dans le champ de la culture et la revendication pour qu’il fasse un pas de plus sur cette voie. Bien que les télécommunications soient de compétence fédérale, la culture est une responsabilité partagée. Les experts estiment donc que le Québec peut légiférer pour encadrer les plateformes telles que Netflix, Disney ou Spotify. Le rapport préconise en quelque sorte d’actualiser le concept de quotas à l’ère du numérique, en exigeant des plateformes d’écoute en ligne qu’elles en fassent plus pour accroître la découvrabilité des contenus francophones, dans une perspective nationale et internationale. À ceux qui y voient une impossible hérésie dans une économie de marché, les experts citent à l’appui le cas de la France, où les plateformes sont forcées de respecter des exigences minimales de diffusion des contenus français et européens.

L’originalité du rapport tient à sa réaffirmation de la souveraineté culturelle du Québec dans le marché de la francophonie mondiale (forte de 321 millions de locuteurs) sans attendre un cadeau qui ne viendra pas du gouvernement fédéral. À preuve, les libéraux de Justin Trudeau ont accueilli avec indifférence et désinvolture la demande de Québec d’être consulté lors des travaux entourant la réforme de la Loi sur la radiodiffusion. Ce n’est que partie remise.

Dans une démarche pour rebâtir le rapport de force avec Ottawa, les experts préconisent une modification à la Charte des droits et libertés québécoise afin qu’elle garantisse « des droits culturels fondamentaux » au bénéfice des Québécois, une formulation qui nécessitera un débat pour dissiper l’impression de flou. Plus concrètement, le groupe de travail propose aussi au gouvernement du Québec d’adopter sa propre loi, sur le modèle de la réforme de la Loi sur la radiodiffusion, et de s’immiscer dans les travaux actuels sur l’élaboration de la politique réglementaire à Ottawa. L’objectif consiste à persuader Ottawa de prendre en considération l’exception culturelle québécoise dans l’élaboration du nouvel écosystème numérique canadien. Les experts évoquent le cas de l’immigration, un champ où une entente fédérale-provinciale accorde certains pouvoirs au Québec.

Le ministre Lacombe a saisi la balle au bond. Dans une chorégraphie bien orchestrée, il a proposé de légiférer le jour même de la publication du rapport. « On va faire flèche de tout bois, parce qu’on a les moyens de nos ambitions », a-t-il dit. L’an dernier, le gouvernement Trudeau avait cavalièrement ignoré les demandes du ministre Lacombe pour que la réforme de la Loi sur la radiodiffusion soit assortie d’un « mécanisme de consultation obligatoire et officiel du gouvernement du Québec ».

Voilà une belle patate chaude pour la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, une alliée de la culture québécoise. Alors que les libéraux sont dans les câbles, il lui échoit la délicate tâche de faire progresser cette revendication sans qu’un traitement particulier pour notre culture nationale soit perçu comme une provocation ou un caprice du Québec par les forces libérales au Canada anglais. Le lourd héritage libéral en ces matières donne raison au gouvernement Legault de miser sur une stratégie d’affirmation nationale, pour la suite de notre monde.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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Agir pour notre avenir, sans permission

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05.02.2024

Dès la publication du rapport d’un groupe d’experts indépendants sur la souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a annoncé son intention de légiférer pour que le contenu québécois trouve sa juste place sur les plateformes en ligne. Il était temps.

Le Québec se gargarise depuis longtemps de la fierté pour sa langue et sa culture distinctes en Amérique, mais, comme bien des États sur le continent, il contemplait béatement l’irrépressible avancée de l’industrie culturelle américaine sur les plateformes numériques libérées des règles et des contraintes de l’ancien monde analogique. Nous recevons le résultat de notre inaction collective en plein écran, chaque fois que nous cherchons en vain un peu de nous sur les plateformes de diffusion en ligne. Essayez pour voir de faire découvrir le cinéma québécois — classique ou contemporain — à vos enfants sur les plateformes de diffusion en continu étrangères. Vous les trouverez au compte-gouttes, à la périphérie lointaine de la galaxie numérique. La même chose vaut pour la musique ou la télévision d’ici. C’est un enjeu majeur pour la vitalité de la culture francophone et l’essor des créateurs.

Entrent en scène quatre experts mandatés par Québec pour déterminer des pistes d’action : Clément Duhaime........

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