Et c’est reparti. Le différend entre Québec et Ottawa sur les questions migratoires a monté d’un cran après que le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, eut annoncé son intention d’imposer ses vues en matière de réunification familiale. Il s’agit d’une entorse à l’Accord Canada-Québec sur l’immigration et d’un empiètement sur la compétence de la nation québécoise. À y regarder de plus près, c’est surtout un bras de fer inutile aux dépens de nouveaux arrivants qui désespèrent de retrouver leurs proches.

Tout n’est pas joué dans cette histoire. Le ministre Miller a envoyé dimanche une lettre à son homologue québécoise, Christine Fréchette, pour la prévenir de ses intentions. Insatisfait des délais du Québec en matière de réunification familiale, le ministre Miller se dit prêt à autoriser les fonctionnaires fédéraux à accélérer le traitement des demandes, sachant pertinemment que le plafond de 10 400 personnes fixé par Québec sera dépassé, et ainsi traiter 20 500 demandes en attente.

La missive peut être interprétée comme une position de négociation, plutôt maladroite de la part d’un élu qui n’en est pas à sa première gaffe. Rappelons-nous le simplisme de la pensée de Marc Miller, qui affirmait récemment que l’immigration allait contribuer à l’allégement de la pénurie de logements abordables… Puisque les nouveaux arrivants allaient construire les unités.

La ministre Fréchette voit dans la dernière sortie de son homologue fédéral « un affront direct aux compétences du Québec ». Elle et son collègue de la Justice, Simon Jolin-Barrette, déplorent à l’unisson que le gouvernement Trudeau « ne respecte pas la volonté de la nation québécoise ». Il s’agit de la partie la plus faible de leur argumentaire, la nation québécoise n’étant pas le bloc monolithique idéalisé par le gouvernement Legault. En attestent les résultats des élections de 2022, alors que davantage de Québécois (2,36 millions) ont voté pour les quatre formations perdantes que pour la Coalition avenir Québec (1,69 million). Les récents sondages sont encore plus durs quant aux prétentions unificatrices de la CAQ. Ce gouvernement a la fâcheuse manie de confondre sa vision du politique avec les intérêts supérieurs de la nation.

Cette histoire et révélatrice d’une collaboration aux résultats inégaux entre les ministres Miller et Fréchette. Il est vrai que l’intention du ministre Miller rogne sur la compétence du Québec en matière d’immigration, même si celle-ci est partagée entre les deux paliers de gouvernement. Si le ministre Miller met sa menace à exécution, il brisera une entente respectée par tous les gouvernements fédéraux depuis 1991. Que cela plaise ou non à Ottawa, c’est au Québec de déterminer ses cibles en matière d’immigration permanente.

C’est une conduite choquante et inacceptable de la part d’Ottawa. S’il fallait que les provinces puissent envahir les champs de compétence fédéraux à chaque fois qu’Ottawa fait preuve de négligence, la Confédération deviendrait vite une foire d’empoigne permanente.

Le problème soulevé par Ottawa n’est en pas moins réel pour quelque 20 000 personnes. C’est au Québec que les délais de réunification familiale sont les plus longs : 34 mois pour un époux (contre 12 mois dans les autres provinces) et 50 mois pour un parent (contre 24 mois). Nous parlons ici de couples séparés entre deux pays, de familles avec enfants non réunifiés, de grands-parents laissés derrière. Ils arriveraient tous au Québec avec un soutien préalable de leurs proches facilitant leur intégration, même si l’enjeu de la francisation demeure entier pour certains, dans un Québec qui atteint au surcroît les limites de ses capacités d’accueil.

Au micro de Tout un matin, la ministre Fréchette a justifié ces délais par l’explosion récente des demandes de réunification familiale, alors que le Québec essaie de maintenir une moyenne de 10 400 à 10 600 réunifications par année. Les torts sont partagés. Québec a délivré trop de certificats de sélection au fil des ans pour être en mesure de respecter sa cible de quelque 10 000 candidats admissibles à la réunification familiale. Pour sa part, Ottawa a contribué aux délais, à l’arbitraire et à l’incompréhension, en ignorant le principe du « premier arrivé, premier servi » dans le traitement des demandes de résidence permanente. Sa gestion du dossier lui a valu de vertes critiques de la Vérificatrice générale.

Malgré leur différend, Marc Miller et Christine Fréchette possèdent un point en commun. Ils se disent tous les deux sensibles à l’anxiété et à l’incertitude provoquées par les délais de réunification familiale. Ils auraient tout intérêt à se parler en privé pour trouver une solution qui sera à la fois respectueuse des compétences du Québec, de ses capacités d’intégration et de la dignité humaine de ceux qui aspirent à la réunification familiale depuis trop longtemps.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - L’inutile provocation - Brian Myles
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

L’inutile provocation

27 0
05.03.2024

Et c’est reparti. Le différend entre Québec et Ottawa sur les questions migratoires a monté d’un cran après que le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, eut annoncé son intention d’imposer ses vues en matière de réunification familiale. Il s’agit d’une entorse à l’Accord Canada-Québec sur l’immigration et d’un empiètement sur la compétence de la nation québécoise. À y regarder de plus près, c’est surtout un bras de fer inutile aux dépens de nouveaux arrivants qui désespèrent de retrouver leurs proches.

Tout n’est pas joué dans cette histoire. Le ministre Miller a envoyé dimanche une lettre à son homologue québécoise, Christine Fréchette, pour la prévenir de ses intentions. Insatisfait des délais du Québec en matière de réunification familiale, le ministre Miller se dit prêt à autoriser les fonctionnaires fédéraux à accélérer le traitement des demandes, sachant pertinemment que le plafond de 10 400 personnes fixé par Québec sera dépassé, et ainsi traiter 20 500 demandes en attente.

La missive peut être interprétée comme une position de négociation, plutôt maladroite de la part d’un élu qui n’en est pas à sa première gaffe. Rappelons-nous le simplisme de la pensée de Marc Miller, qui affirmait récemment que l’immigration allait contribuer........

© Le Devoir


Get it on Google Play