Diane a toujours été un sujet de prédilection des peintres. On retrouve la déesse de l’Aventin sous les couleurs de Rembrandt, du Titien ou de Vermeer. L’une des scènes les plus courantes est celle où le jeune chasseur Actéon, perdu dans les bois, surprend par hasard la vierge sortant de son bain en compagnie de ses nymphes. Toutes sont évidemment dans le plus simple appareil.

Ce jour-là, c’est une toile du peintre italien Guiseppe Cesari illustrant un passage des Métamorphoses d’Ovide que les élèves étudiaient. Nous sommes au collège Jacques-Cartier, à 50 kilomètres de Paris. En première année du secondaire, les mythes de l’Antiquité sont au programme. Rien de plus normal, donc, que l’enseignante soumette cette toile à ses élèves. Jusqu’à ce que certains s’offusquent et détournent les yeux ! Comme les ligues de vertu d’une autre époque.

À leur professeur principal, ils diront avoir été heurtés dans leurs convictions religieuses. Certains iront jusqu’à accuser l’enseignante de provocation raciste. Une accusation fausse sur laquelle ils reviendront rapidement. L’affaire aurait pu en rester là. Mais nous sommes en France, où 83 % des musulmans de moins de 25 ans adhèrent à une conception rigoriste selon laquelle l’islam est « la seule vraie religion », nous révélait un sondage récent.

La panique s’est aussitôt répandue chez les enseignants. Comment ne pas songer à Samuel Paty, égorgé à 25 kilomètres à peine pour avoir montré à ses élèves deux caricatures du prophète ? Ou à Dominique Bernard, exécuté par un islamiste le 13 octobre dernier. Un attentat dont 31 % des jeunes scolarisés disent ne « pas condamner totalement » l’auteur ou « partager certaines de ses motivations ».

Heureusement, le ministre Gabriel Attal s’est rendu sur place. Il s’est donc trouvé une voix pour affirmer qu’« à l’école française, on ne détourne pas le regard devant un tableau, on ne se bouche pas les oreilles en cours de musique, on ne porte pas de tenue religieuse, bref, à l’école française on ne négocie ni l’autorité de l’enseignant ni l’autorité de nos règles et de nos valeurs » !

Habitués d’être lâchés par leur administration, les 860 000 enseignants de France ont poussé un soupir de soulagement. Mais pour combien de temps ? Car ce régime de la peur fait dorénavant partie de la vie quotidienne des professeurs. Tous se demandent qui sera le prochain. Il suffit d’évoquer Israël, la Shoah, la guerre d’Algérie, l’apostasie, les droits des femmes, l’homosexualité ou même l’ombre d’un sein sur une toile de maître.

Ce n’est pas un hasard si le dernier livre de l’ancien inspecteur général de l’Éducation nationale Jean-Pierre Obin s’intitule Les profs ont peur (L’Observatoire). Il s’ouvre sur l’histoire de ce professeur qui donnait un cours sur le nazisme… sans parler des Juifs ! « Je n’ai pas envie de retrouver ma voiture vandalisée comme la dernière fois, disait-il. […] J’ai une femme et des enfants. » Au début des années 2000, ces cas ne concernaient qu’une petite soixantaine d’établissements. On n’en est plus là. Quatre enseignants sur cinq disent avoir eu maille à partir avec des élèves concernant leurs convictions religieuses. Plus de la moitié reconnaissent s’être autocensurés.

Car, si nos gouvernements se préoccupent trop souvent de l’éducation comme d’une guigne, ce n’est pas le cas des islamistes, qui ont depuis longtemps ciblé l’école publique, considérée comme un lieu de perdition.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les meilleurs alliés de cette autocensure ne vivent pas dans les banlieues. Ils vivent dans ces quartiers boboïsés des grandes villes. Comme cette Marie G. qui a lancé une pétition pour qu’on retire le nom de Serge Gainsbourg à une nouvelle station de la ligne de métro des Lilas. L’auteur du génial Poinçonneur des Lilas aurait, dit-elle, fait l’éloge des « féminicides » et des « viols incestueux ». À l’appui, des paroles de chansons légèrement provocantes. Dans Titicaca, un homme veut noyer une princesse inca dans le lac du même nom. Lemon Incest, plus suggestive et interprétée avec sa fille, évoque l’inceste dans des mots pourtant sans ambiguïté : « L’amour que nous ne ferons jamais ensemble est le plus beau le plus violent le plus pur le plus enivrant ». Bref, pas de quoi fouetter un chat.

De Diane chasseresse à Gainsbarre, ces féministes comme les islamistes ne peuvent concevoir l’art qu’à travers le petit bout de lorgnette de leur morale obtuse. L’art n’est plus cette vaste entreprise d’exploration touchant aux confins de l’âme humaine. Il n’est plus que la vertueuse confirmation de nos passions tristes. On découvre ici la sainte alliance de l’islamisme et du wokisme contre un ennemi commun : l’art et la culture.

L’histoire de Diane, cette féministe avant l’heure, est terriblement actuelle. Pour l’avoir surprise dans son intimité, Actéon fut transformé en cerf. Cela lui fut fatal puisqu’il fut dévoré par ses chiens incapables de le reconnaître. Ainsi en va-t-il des libertés scolaires et artistiques qui, à force d’être grignotées toujours un peu plus par nos nouveaux mormons, pourraient nous manquer cruellement. Nous serons bientôt semblables à cette meute qui, devenue orpheline, dit-on, après avoir sacrifié son maître, le chercha ensuite éperdument.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La sainte alliance - Christian Rioux
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La sainte alliance

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15.12.2023

Diane a toujours été un sujet de prédilection des peintres. On retrouve la déesse de l’Aventin sous les couleurs de Rembrandt, du Titien ou de Vermeer. L’une des scènes les plus courantes est celle où le jeune chasseur Actéon, perdu dans les bois, surprend par hasard la vierge sortant de son bain en compagnie de ses nymphes. Toutes sont évidemment dans le plus simple appareil.

Ce jour-là, c’est une toile du peintre italien Guiseppe Cesari illustrant un passage des Métamorphoses d’Ovide que les élèves étudiaient. Nous sommes au collège Jacques-Cartier, à 50 kilomètres de Paris. En première année du secondaire, les mythes de l’Antiquité sont au programme. Rien de plus normal, donc, que l’enseignante soumette cette toile à ses élèves. Jusqu’à ce que certains s’offusquent et détournent les yeux ! Comme les ligues de vertu d’une autre époque.

À leur professeur principal, ils diront avoir été heurtés dans leurs convictions religieuses. Certains iront jusqu’à accuser l’enseignante de provocation raciste. Une accusation fausse sur laquelle ils reviendront rapidement. L’affaire aurait pu en rester là. Mais nous sommes en France, où 83 % des musulmans de moins de 25 ans adhèrent à une conception rigoriste selon laquelle l’islam est « la seule vraie religion », nous révélait un sondage récent.

La panique s’est aussitôt répandue chez les enseignants. Comment ne........

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