Le 20 avril, le grand Guy Rocher célèbre son centième anniversaire de naissance. Profitons de l’occasion pour souligner son apport incontournable à la sociologie québécoise et au système d’éducation québécois dans son ensemble.

La biographie de Guy Rocher écrite par Pierre Duchesne et publiée en deux tomes chez Québec Amérique (2019, 2021) est éloquente à cet effet, nous rappelant l’immense héritage de cet intellectuel. Rocher nous aura permis de comprendre que « l’individu moderne ne se définit plus par rapport à un dieu, mais par rapport à lui-même. L’humain devient sacré et certaines qualités humaines, nouvelles, deviennent sacrées : sa liberté, sa responsabilité, l’activité créatrice. »

Sur le plan de l’engagement citoyen, son implication à la Jeunesse étudiante catholique (JEC) et son rôle clé dans le développement du syndicalisme à l’Université de Montréal témoignent de cette volonté de se trouver au coeur de l’action et du changement social. Dans sa discipline, l’élève de Talcott Parsons aura aussi grandement contribué à l’implantation de la sociologie à l’Université Laval, puis à l’Université de Montréal. D’ailleurs, il est l’auteur d’une Introduction à la sociologie générale devenue l’ouvrage de référence de plusieurs générations de sociologues au Québec.

Rocher aura aussi été un acteur engagé sur le plan politique, contribuant, par son rôle majeur au sein de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (commission Parent), à une véritable révolution — pas toujours tranquille — de notre système d’éducation. Son apport aura permis de moderniser à vitesse grand V un système jugé jusqu’alors « fragmenté, sous-financé, sous-développé, dépourvu de coordination, peu démocratique, élitiste et sexiste ».

Pour nous qui sommes quatre collègues de travail du réseau collégial, nous trouvions nécessaire de rappeler l’importance de M. Rocher, particulièrement dans la création des cégeps en 1967. À chaque occasion qu’il lui est accordé, il en profite d’ailleurs pour défendre l’importance, l’originalité et la créativité au coeur de notre réseau. Il fallait le voir en ouverture du colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) tenu à Montréal en juin 2017, debout tout au long de son allocution, relatant sa fierté d’avoir vu les enseignants du collégial s’approprier rapidement ce réseau issu de ses travaux au sein de la désormais célèbre commission Parent. Ce réseau collégial, pierre angulaire de la société distincte québécoise, qui permet à des enseignants d’horizons divers, comme c’est le cas pour nous quatre, d’oeuvrer en enseignement supérieur dans des conditions de collégialité que plusieurs envient.

Cette particularité du réseau des cégeps, cette forme de convivialité et d’ouverture, n’est pas étrangère à la volonté de la commission Parent d’insuffler un décloisonnement des disciplines et de promouvoir des conditions de recherche interdisciplinaire. Nombreux sont les enseignants du collégial actuellement à jouir de ce statut enviable d’être à la fois enseignant, chercheur, pédagogue, intervenant de première ligne oeuvrant au quotidien auprès d’une jeunesse en plein développement, en quête à la fois d’une formation professionnalisante, mais aussi d’une culture générale. Culture qui, rappelons-le, était réservée il n’y a pas si longtemps à une élite bourgeoise, sinon à une minorité.

La démonstration de la pertinence de ce réseau n’est plus à faire, en témoignent la grande fierté des acteurs qui le font vivre depuis plus d’un demi-siècle, ainsi que la profonde congruence qu’ils manifestent eu égard aux finalités exprimées dans le rapport Parent. Rares sont les projets politiques qui s’incarnent aussi rapidement, qui s’actualisent avec autant d’engagements et qui perdurent au-delà des décennies, et ce, sur une étendue de territoire que l’on sait vaste et diversifié.

Au-delà de son parcours d’exception, de ses études prestigieuses et de son apport hors norme au monde de l’éducation du Québec, Guy Rocher demeure avant tout cet homme simple et bon, accessible et sans prétention. Un être qui inspire la confiance. Un être dont l’assurance tranquille se fait l’écho d’une science généreuse, mise au service du bien commun. Il demeure à nos yeux l’archétype du sage avisé, du patriarche clairvoyant, de l’aîné bienveillant.

Malheureusement, l’actualité regorge d’exemples d’une fragilisation du réseau : ouverture plus importante à l’enseignement à distance (pandémie, puis nouvelle convention collective), vétusté des infrastructures, baisse des standards en matière de formation et de culture générale. Revenir à Rocher en ces temps troubles nous apparaît nécessaire. Plus que jamais, tel un phare, il éclaire le chemin : les motivations à la source du réseau collégial, c’est-à-dire cet engagement étatique ferme de faire de l’éducation un projet de société, devraient nous rappeler ce qui doit constituer la suite en enseignement supérieur.

Le courage de nos prédécesseurs devrait nous permettre de nous hisser sur leurs épaules. C’est la seule possibilité, pour nous, de voir plus loin.

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QOSHE - Guy Rocher, tel un phare - Daniel Landry
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Guy Rocher, tel un phare

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20.04.2024

Le 20 avril, le grand Guy Rocher célèbre son centième anniversaire de naissance. Profitons de l’occasion pour souligner son apport incontournable à la sociologie québécoise et au système d’éducation québécois dans son ensemble.

La biographie de Guy Rocher écrite par Pierre Duchesne et publiée en deux tomes chez Québec Amérique (2019, 2021) est éloquente à cet effet, nous rappelant l’immense héritage de cet intellectuel. Rocher nous aura permis de comprendre que « l’individu moderne ne se définit plus par rapport à un dieu, mais par rapport à lui-même. L’humain devient sacré et certaines qualités humaines, nouvelles, deviennent sacrées : sa liberté, sa responsabilité, l’activité créatrice. »

Sur le plan de l’engagement citoyen, son implication à la Jeunesse étudiante catholique (JEC) et son rôle clé dans le développement du syndicalisme à l’Université de Montréal témoignent de cette volonté de se trouver au coeur de l’action et du changement social. Dans sa discipline, l’élève de Talcott Parsons aura aussi grandement contribué à l’implantation de la sociologie à l’Université Laval, puis à l’Université de Montréal. D’ailleurs, il est l’auteur d’une Introduction à la sociologie générale devenue l’ouvrage de référence de plusieurs générations de sociologues au Québec.

Rocher aura aussi été un acteur engagé sur le plan politique, contribuant,........

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