La première victime de la guerre est la vérité. Toute guerre est aussi une guerre des propagandes. Lorsque, comme dans le cas présent, la vérité ou la justesse morale ne sont pas le monopole d’un seul camp (ce qui est au demeurant rarement le cas — tout en pouvant l’être parfois), le résultat peut être explosif.

Victime collatérale liée à la précédente, et non loin derrière : la liberté d’expression. Les pays en guerre, même ceux qui, sur le fond, défendent cette liberté comme principe vital (exemple : l’Ukraine agressée), sont presque toujours amenés à — voire forcés de — la restreindre.

Ce qui est remarquable depuis quelques semaines, c’est que l’exceptionnelle onde de choc du 7 octobre, en Europe et en Amérique du Nord surtout, un peu moins au-delà (Afrique, Amérique latine, et marginalement en Asie — autre monde), a exporté ces questions à des territoires qui ne sont pas partie prenante de cette guerre.

En France, en Allemagne, on a interdit des manifestations propalestiniennes. La protection contre l’antisémitisme ou contre l’apologie du terrorisme — en effet présents dans certaines manifestations — était l’un des arguments utilisés par les autorités françaises ou allemandes pour interdire certaines d’entre elles.

Y a-t-il eu abus de telles précautions ? Un usage tendancieux, plutôt pour un camp et contre l’autre ? La crainte est légitime.

Dans les sociétés occidentales, depuis le 7 octobre, et avec une corrélation forte qui n’est pas un hasard, on a assisté à une montée en flèche des incidents antisémites : doublement, triplement, quintuplement par rapport aux périodes correspondantes un an plus tôt (Allemagne : 242 % dans la semaine qui a suivi le 7 octobre).

Une telle évolution n’a pas été observée pour les actes d’hostilité antiarabe ou antimusulmane.

Certes, les incidents rapportés vont des simples graffitis, des insultes ou allusions raciales sur des réseaux sociaux (les plus fréquents), à des agressions physiques caractérisées : profanations de cimetières, tirs sur des synagogues (Montréal), voies de fait. Toutes ces affaires comptent également lorsque les organismes spécialisés font leurs additions et rédigent leurs rapports mensuels.

Attention donc à l’aspect qualitatif des « incidents » rapportés… Mais tout cela traduit indéniablement un alourdissement grave de l’ambiance.

Il en a découlé, chez des gouvernements qui par ailleurs ont de bons rapports diplomatiques avec Israël, une prudence pouvant aller jusqu’à l’étouffement des libertés. On a constaté (surtout en octobre, moins en novembre) une multiplication des plaintes concernant la censure des expressions de soutien aux Palestiniens. Le tout sur fond de bataille idéologique féroce.

Il y a eu des manifestations propalestiniennes interdites en Europe et la suspension de manifestations culturelles impliquant des auteurs palestiniens. Aux États-Unis, des militants ont parlé d’un « nouveau maccarthysme ».

Il y a un mois, à la Foire du livre de Francfort, on a annulé la cérémonie de remise d’un prix à l’écrivaine palestinienne Adania Shibli. En réaction, des centaines d’écrivains (dont quelques Prix Nobel) ont protesté : « L’annulation d’événements culturels n’est pas une solution. » Venant d’intellectuels, y compris d’Allemands connaissant leur histoire, l’avertissement et sa formulation ne sont pas anodins.

Cité ce week-end par le quotidien El País, Greg Lukianoff, président de la Fondation pour les droits individuels et la libre expression, auteur du livre The Canceling of the American Mind (qui vient de paraître chez Simon & Schuster), commente : « Le phénomène est bien réel. »

Et de citer des chiffres tout chauds sur les restrictions à la liberté d’expression dues au présent conflit dans les universités américaines : 91 cas enregistrés par son organisation depuis le 7 octobre, contre 44 sur l’ensemble de l’année 2022.

Venant de lui, cette intervention est assez croustillante, parce que sa cible habituelle, c’est le « wokisme » de gauche qui étouffe les voix dissidentes sur les campus. Mais dans le cas qui nous occupe, c’est la gauche propalestinienne qui se voit censurée.

La question palestinienne, sur un mode tragique et sanglant, et avec un déclencheur violent, terroriste et antisémite — l’agression du 7 octobre par le Hamas —, retrouve aujourd’hui sa centralité perdue. Et nous pousse à nous poser des questions sur nos propres libertés.

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Guerre d’ailleurs, libertés d’ici

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20.11.2023

La première victime de la guerre est la vérité. Toute guerre est aussi une guerre des propagandes. Lorsque, comme dans le cas présent, la vérité ou la justesse morale ne sont pas le monopole d’un seul camp (ce qui est au demeurant rarement le cas — tout en pouvant l’être parfois), le résultat peut être explosif.

Victime collatérale liée à la précédente, et non loin derrière : la liberté d’expression. Les pays en guerre, même ceux qui, sur le fond, défendent cette liberté comme principe vital (exemple : l’Ukraine agressée), sont presque toujours amenés à — voire forcés de — la restreindre.

Ce qui est remarquable depuis quelques semaines, c’est que l’exceptionnelle onde de choc du 7 octobre, en Europe et en Amérique du Nord surtout, un peu moins au-delà (Afrique, Amérique latine, et marginalement en Asie — autre monde), a exporté ces questions à des territoires qui ne sont pas partie prenante de cette guerre.

En France, en Allemagne, on a interdit des manifestations propalestiniennes. La protection contre l’antisémitisme ou contre l’apologie du terrorisme — en effet présents dans certaines manifestations — était l’un des arguments utilisés par les........

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