La famine est le stade suprême de la misère, et elle a des causes humaines. Publiée le 24 avril, l’édition 2024 du Rapport mondial sur les crises alimentaires, oeuvre commune et utile d’agences de l’ONU, de l’Union européenne et de l’USAID américaine, nous le rappelle.

Ce rapport montre que « l’urgence alimentaire absolue » est repartie à la hausse, le plus souvent reliée à « la main de l’homme », comme on ne dit plus : essentiellement les guerres et le chaos social.

La cause n’est pas un problème de disponibilité de la nourriture… La non-distribution aux plus démunis et aux affamés, dans environ un quart des pays du monde (ici analysés) totalisant un milliard et demi d’habitants, est essentiellement d’origine politique.

Stade suprême de la malnutrition, au-delà duquel, littéralement, on meurt de faim, « l’urgence alimentaire absolue » touchait au cours de la dernière année 281 millions de personnes dans 59 pays. En 2022, c’était 257 millions. En 2021, 193 millions. À 281 millions de personnes en situation « extrême et urgente », on parle ici de 3,6 % de la population mondiale.

Mais un plus grand nombre est considéré comme pauvre (2 milliards de personnes ou 25 %) ou très pauvre (800 millions ou 9 %). Les définitions varient énormément. La Banque mondiale utilise par exemple trois seuils chiffrés pour parler de pauvreté absolue, de grande pauvreté ou de simple pauvreté : 2,30 $ US par jour, 3,65 $ et 6,85 $.

Ce dernier chiffre est la médiane des revenus par habitant sur Terre : une moitié gagne plus, la seconde gagne moins. Certaines agences mesureront, plus concrètement, l’accès à l’eau potable, à un toit en dur, à l’électricité. Autres indicateurs fondamentaux, fréquemment utilisés : la régression des grandes maladies, l’accès à l’éducation primaire et secondaire.

* * * *

Or, en ces matières, il est un fait global et structurel trop peu connu et trop peu rapporté, en cette époque où la morosité est de rigueur et la mauvaise humeur obligatoire, où la peur de la guerre et du changement climatique tend à obscurcir tout le reste.

Le monde a assisté, au cours des deux premières décennies du XXIe siècle, à des progrès extraordinaires, sortant des millions de personnes de la grande pauvreté, donnant à manger à tous ou presque, éradiquant les dernières grandes maladies, comme la poliomyélite, avec des dizaines de milliers de personnes, littéralement chaque jour depuis 25 ans, échappant à la misère, accédant à l’eau potable, à un toit, à l’électricité.

L’attention médiatique portée à trois, quatre ou cinq crises et conflits localisés — où la misère et l’injustice sont criantes, les violences révoltantes — fait oublier ce qui se passe ailleurs, et affecte beaucoup plus de monde.

Durant les deux premières décennies du XXIe siècle, en gros de 2000 à 2019, on a assisté, en termes relatifs (en pourcentage de la population mondiale) et en termes absolus… à un recul marqué de la grande pauvreté, de la disette alimentaire et du nombre de personnes qui ont faim, en situation d’urgence pour trouver à manger ce soir ou demain matin.

La grande pauvreté, selon l’ONU, accablait 36 % de l’humanité en 1988, 23 % en 2000… 8 ou 9 % en 2022. Et ce, malgré un quasi-doublement de la population mondiale en quatre décennies.

Depuis 2019, il est vrai, certaines statistiques indiquent un plafonnement, voire un tassement. Mais l’invasion russe de l’Ukraine, avec ses effets tant redoutés sur le marché des céréales, n’a finalement pas diminué l’offre globale de nourriture… Et ce, même si les spéculateurs s’en sont donné à coeur joie en 2022, avec des hausses de prix ( 20 %, de 2022 à 2023, sur l’index des prix alimentaires de la FAO) contribuant ponctuellement à augmenter la faim aux endroits les plus vulnérables.

* * * *

Ce rapport a ceci de particulier qu’il recense les situations de disette absolue, de quasi-famine… en les reliant à des crises politiques, militaires ou sociales ponctuelles, analysées en fonction de leurs effets sur la disponibilité de la nourriture.

Alors en vedette en 2023, sur le terrible front des estomacs vides : la sécheresse en Afrique australe, la guerre au Soudan, le chaos social en Haïti et — bien entendu — les bombardements israéliens sur la bande de Gaza. Faim provoquée, faim comme possible arme de guerre.

On note en passant que, dans d’autres régions du monde ravagées par la guerre — l’Ukraine agressée par la Russie, les guérillas birmanes réunies contre la dictature militaire au Myanmar —, ça saigne et ça meurt, il y a des injustices, des atrocités et des enjeux stratégiques majeurs… mais pas de problèmes alimentaires.

En Afrique australe, c’est la météo. Changement climatique ? Peut-être, mais aussi et surtout le retour cyclique d’El Niño (le courant chaud du Pacifique-Sud), directement mis en cause dans les sécheresses qui ravagent depuis bientôt un an l’agriculture au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe.

Il y a aussi les quasi-famines causées par la guerre. En 2023, c’est le Soudan, avec un conflit qui oppose, depuis un an, les forces régulières de l’armée et des groupes paramilitaires. Le Soudan qui connaît le plus grand nombre de déplacés internes au monde… Pas moins de 18 millions de Soudanais (40 % de la population) sont en insécurité alimentaire aiguë, avec des « seigneurs de la guerre » qui interceptent les livraisons d’aide.

À Gaza, selon le rapport, c’est presque toute la population de plus de 2 millions qui serait au bord de la famine, causée par les bombardements, les blocus, les déplacements forcés de population. Sans oublier Haïti, pays en proie à la grande pauvreté et au chaos politique depuis des années… mais où on arrivait toujours à manger, tant bien que mal. Depuis 2023, ce n’est plus vrai : le blocus des bandits autour de Port-au-Prince a stoppé les approvisionnements.

Malheur humain, d’origine humaine.

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Le stade suprême de la misère

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29.04.2024

La famine est le stade suprême de la misère, et elle a des causes humaines. Publiée le 24 avril, l’édition 2024 du Rapport mondial sur les crises alimentaires, oeuvre commune et utile d’agences de l’ONU, de l’Union européenne et de l’USAID américaine, nous le rappelle.

Ce rapport montre que « l’urgence alimentaire absolue » est repartie à la hausse, le plus souvent reliée à « la main de l’homme », comme on ne dit plus : essentiellement les guerres et le chaos social.

La cause n’est pas un problème de disponibilité de la nourriture… La non-distribution aux plus démunis et aux affamés, dans environ un quart des pays du monde (ici analysés) totalisant un milliard et demi d’habitants, est essentiellement d’origine politique.

Stade suprême de la malnutrition, au-delà duquel, littéralement, on meurt de faim, « l’urgence alimentaire absolue » touchait au cours de la dernière année 281 millions de personnes dans 59 pays. En 2022, c’était 257 millions. En 2021, 193 millions. À 281 millions de personnes en situation « extrême et urgente », on parle ici de 3,6 % de la population mondiale.

Mais un plus grand nombre est considéré comme pauvre (2 milliards de personnes ou 25 %) ou très pauvre (800 millions ou 9 %). Les définitions varient énormément. La Banque mondiale utilise par exemple trois seuils chiffrés pour parler de pauvreté absolue, de grande pauvreté ou de simple pauvreté : 2,30 $ US par jour, 3,65 $ et 6,85 $.

Ce dernier chiffre est la médiane des revenus par habitant sur Terre : une moitié gagne plus, la seconde........

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