Et si le populisme du XXIe siècle avait amorcé son déclin ? C’est la thèse que propose un stimulant essai tout juste paru, sous la signature de Thibault Muzergues, avec le même titre que la présente chronique (Postpopulisme, Éditions de l’Observatoire, 2024).

L’auteur souligne, comme dans cette chronique en janvier, que l’Italie est un pays précurseur, laboratoire qui porte souvent en lui — depuis le fascisme d’il y a un siècle, et même depuis 2000 ans — des tendances vouées à s’universaliser.

Comme Berlusconi en 1994 avait préfiguré Trump avec vingt ans d’avance, Giorgia Meloni, nationaliste au pouvoir à Rome depuis octobre 2022, serait, selon Muzergues, en train d’opérer un « changement de paradigme » fondamental, qui commence à essaimer ailleurs.

Le paradigme du « peuple contre les élites », du « tous pourris », du « bonnet blanc, blanc bonnet », de la colère rageuse qui a inspiré — avec des nuances nationales — les votes en faveur de Trump, du Brexit, de Le Pen en France, de Geert Wilders aux Pays-Bas et du parti Syriza en Grèce… ce paradigme pourrait avoir fait son temps en 2024.

Populisme et « révolte du peuple » : c’était le grand clivage, le message des années 2010. Avec des « victoires populistes » (« Oui » au Brexit en 2016 ; pouvoir fugace de Matteo Salvini en Italie au même moment).

Dans cette décennie-là, souligne Muzergues, la vague exprimait des préoccupations légitimes et a laissé des traces. Secouant les « élites » de façon salutaire, elle a fait passer des messages.

Mais le plus souvent, la queue de cette vague est piteuse, avec le spectacle de l’incompétence ou de l’impuissance au pouvoir : Salvini en Italie, Syriza en Grèce, marginalisés ; l’échec flamboyant du Brexit et l’amer regret de beaucoup de ceux qui avaient voté pour.

* * * * *

Selon Muzergues, « la grande disruption des années 2010 […] est aujourd’hui terminée. On est en train de passer à autre chose. En Italie, on assiste à la fin du clivage entre populistes et élites, qui existe encore en France. On revient […] à un clivage classique droite-gauche, mais des droites et des gauches se définissant de manière beaucoup plus tranchée ».

Concrètement, comment se traduit ce changement dans le programme d’une Meloni ? La droite nationaliste et conservatrice qu’elle représente a cessé de vitupérer l’Europe chaque matin comme source de tous les maux (longtemps refrain populiste obligé) ; elle accepte les subventions de Bruxelles et l’idée d’une Union européenne.

Face à la Russie envahissant l’Ukraine, elle a vite compris qu’une posture pro-Poutine était intenable — alors que Marine Le Pen et Matteo Salvini ont mangé dans la main du Kremlin et ne se sont, depuis, que partiellement amendés.

Ailleurs en Europe, Geert Wilders (« vainqueur » en novembre des élections, avec 23 % des voix… et 14 autres partis au Parlement !) a renoncé à former lui-même un gouvernement, devant son isolement relatif. En Pologne, le mois précédent, les populistes du PiS perdaient les élections.

Dans bien des cas, l’auteur souligne que la métamorphose postpopuliste est interne aux formations. À la manière des Fratelli d’Italia de Meloni, bien des partis qui en appelaient à « la révolte du peuple contre les élites » ont changé de discours : Démocrates de Suède de Jimmie Åkesson, Syriza en Grèce, « Vrais Finlandais » à Helsinki…

Muzergues insiste pour dire que le populisme, style et attitude avant d’être une idéologie, s’est retrouvé plus souvent à droite, mais qu’il en est des exemples à gauche. Il écrit aussi qu’un parti comme le Rassemblement national de Marine Le Pen emprunte à la gauche étatiste pour son programme économique. (Chose que conteste, soit dit en passant, le magazine Marianne dans son édition du 7 mars, avec la manchette « RN. L’imposture sociale ». Selon Marianne, le RN serait à droite également en économie.)

Question pour finir : avec cet exemple venu d’une Italie prophétique… qu’attendent la France et les États-Unis pour passer, à leur tour, au postpopulisme ?

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Postpopulisme

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18.03.2024

Et si le populisme du XXIe siècle avait amorcé son déclin ? C’est la thèse que propose un stimulant essai tout juste paru, sous la signature de Thibault Muzergues, avec le même titre que la présente chronique (Postpopulisme, Éditions de l’Observatoire, 2024).

L’auteur souligne, comme dans cette chronique en janvier, que l’Italie est un pays précurseur, laboratoire qui porte souvent en lui — depuis le fascisme d’il y a un siècle, et même depuis 2000 ans — des tendances vouées à s’universaliser.

Comme Berlusconi en 1994 avait préfiguré Trump avec vingt ans d’avance, Giorgia Meloni, nationaliste au pouvoir à Rome depuis octobre 2022, serait, selon Muzergues, en train d’opérer un « changement de paradigme » fondamental, qui commence à essaimer ailleurs.

Le paradigme du « peuple contre les élites », du « tous pourris », du « bonnet blanc, blanc bonnet », de la colère rageuse qui a inspiré — avec des nuances nationales — les votes en faveur de Trump, du Brexit, de Le Pen en France, de Geert Wilders aux Pays-Bas et du parti Syriza en Grèce… ce paradigme pourrait........

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