Six mois de guerre à Gaza et aucune issue en vue. On parle bien d’une « issue » à cet épisode singulier qui a commencé le 7 octobre, et non d’une résolution globale du conflit de trois quarts de siècle entre deux ennemis historiques.

Que signifierait une « solution » à l’épisode actuel ? Une fin des combats et des bombardements, un cessez-le-feu prolongé, une libération des otages israéliens et d’au moins quelques centaines de prisonniers palestiniens, plus un début de reconstruction sous d’hypothétiques nouvelles autorités locales.

Sauf que, pour les uns et les autres, les définitions d’une solution, même à court terme, divergent radicalement.

Israël veut « éliminer le Hamas ». Le Hamas, même décimé, avec son peuple massacré en partie par sa faute (ce pour quoi il a formulé, le 1er avril — mais ce n’était pas une blague — de surprenantes « excuses au peuple palestinien »), pourrait tirer du simple fait de sa survie le motif de crier victoire.

Le Hamas prétend continuer d’incarner les revendications du peuple palestinien. Le simple fait qu’il puisse toujours exister — même diminué et écrasé par une force militaire infiniment supérieure — sera systématiquement présenté comme une « victoire ».

C’est un classique de la rhétorique arabe face à Israël. Après les bombardements de 2006 qui ont dévasté le Liban jusqu’au sud de la capitale, Beyrouth, le Hezbollah avait crié « victoire »… au milieu de la désolation ambiante.

Malgré les destructions, le Hezbollah avait tiré, cette année-là, un grand prestige de l’auréole du martyr combattant. Ce fait — allié à la démographie galopante des chiites au Liban — lui a permis par la suite de dominer, voire de bloquer à son profit la scène politique du pays.

(Rien ne dit cependant qu’un bis repetita de 2006 au Liban, mais en bien pire en 2024, aurait cette fois le même effet bénéfique pour l’organisation islamiste. L’opinion épuisée pourrait très bien se retourner contre le « martyr résistant », qui accumule les victoires morales… mais cause périodiquement de vraies misères dans sa propre population.)

* * * * *

Dans ce panorama des fausses victoires en série, il y a aussi celles d’Israël, différentes, mais non moins cruelles.

Gagner militairement et gagner politiquement sont deux choses différentes. Gagner à court terme et gagner à long terme sont deux choses différentes, qui peuvent s’avérer diamétralement opposées.

On peut « gagner la guerre et perdre la paix ». Dans une guerre aussi « asymétrique » que celle-là, on peut gagner toutes les batailles contre une guérilla ennemie… mais sans jamais la faire disparaître — car cette disparition est un fantasme inaccessible.

On peut triompher sur le terrain contre un ennemi militairement beaucoup plus faible… et subir en retour une déroute cuisante en matière d’image, y compris parmi ceux qui étaient vos alliés les plus sûrs.

Tout cela, et plus encore, est en train d’arriver à Israël.

* * * * *

Le siège destructeur de l’hôpital al-Chifa, qui a laissé derrière lui un champ de ruines, a donné à voir, à la mi-mars… une résurgence de la guérilla du Hamas. Et ce, dans une zone — la ville de Gaza, dans la partie nord de l’enclave — qui était censée avoir été complètement « nettoyée » plusieurs semaines auparavant !

Dans un reportage du 1er avril, le New York Times écrivait : « Mais alors que la guerre faisait rage, les forces israéliennes se sont de nouveau rapprochées de l’hôpital pour tenter d’éradiquer ce qu’elles ont qualifié de nouvelle insurrection des groupes armés palestiniens dans le nord de Gaza. »

Une « nouvelle insurrection des groupes armés palestiniens » ! Oui, de l’aveu même de Tsahal ! Après toutes ces campagnes de ratissage méthodique, de terre brûlée, voilà où se retrouve l’armée israélienne. Toutes les victoires tactiques accumulées par ce rouleau compresseur du nord au sud — qui ont tué 33 000 Palestiniens dont peut-être 15 % ou 20 % de combattants, en plus de coûter la vie à 600 soldats — tout ça pour ça.

Comme les Américains en Irak, partis « exporter la démocratie » au Moyen-Orient, au prix — là aussi — de dizaines de milliers de vies humaines innocentes, Israël se retrouve devant une guérilla indélogeable, indéracinable.

Avec une paix introuvable et une réputation ruinée.

Pour joindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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08.04.2024

Six mois de guerre à Gaza et aucune issue en vue. On parle bien d’une « issue » à cet épisode singulier qui a commencé le 7 octobre, et non d’une résolution globale du conflit de trois quarts de siècle entre deux ennemis historiques.

Que signifierait une « solution » à l’épisode actuel ? Une fin des combats et des bombardements, un cessez-le-feu prolongé, une libération des otages israéliens et d’au moins quelques centaines de prisonniers palestiniens, plus un début de reconstruction sous d’hypothétiques nouvelles autorités locales.

Sauf que, pour les uns et les autres, les définitions d’une solution, même à court terme, divergent radicalement.

Israël veut « éliminer le Hamas ». Le Hamas, même décimé, avec son peuple massacré en partie par sa faute (ce pour quoi il a formulé, le 1er avril — mais ce n’était pas une blague — de surprenantes « excuses au peuple palestinien »), pourrait tirer du simple fait de sa survie le motif de crier victoire.

Le Hamas prétend continuer d’incarner les revendications du peuple palestinien. Le simple fait qu’il puisse toujours exister — même diminué et écrasé par une force militaire infiniment........

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