Une mauvaise semaine pour Donald Trump. Et une bonne pour Joe Biden et les dirigeants ukrainiens.

Aide américaine votée à l’Ukraine, après des mois de blocage. Début d’un procès historique au criminel contre un ancien président qui rêve de le redevenir.

Privées d’aide depuis un semestre, les troupes de Kiev sont en difficulté face à l’offensive massive de la Russie contre des cibles civiles (immeubles d’habitations, infrastructures énergétiques) et militaires (le Donbass, où l’armée russe avance lentement au prix du sacrifice, décidé par Vladimir Poutine, de milliers de ses propres soldats).

Aujourd’hui battu lors d’un vote au Congrès sur l’aide à Kiev, faisant face à la justice de son pays, Donald Trump est-il en train de perdre la main ?

À New York, l’ancien président se voit forcé de comparaître devant un jury pour crime présumé de dissimulation et de détournements de fonds dans une affaire sordide qui mêle le sexe et les dépenses électorales, dans un contexte médiatique qu’il ne contrôle pas et qui le désarçonne.

Et puis il y a cette décision, samedi à la Chambre des représentants, de voter une énorme enveloppe d’aide à l’Ukraine. Décision qui était sans doute inévitable à long terme, mais qui arrive — comme d’habitude dans cette guerre — très tard, peut-être trop du point de vue ukrainien.

Soyons clair : la majorité en faveur d’une telle mesure — dans l’opinion publique américaine comme sur le plancher du Congrès — n’a jamais fait de doute. Mais les manoeuvres dilatoires, antidémocratiques, de l’aile dure républicaine à la chambre basse, inspirées par un Donald Trump qui tire (ou espérait tirer) les ficelles, ont réussi à retarder de presque six mois la tenue de ce vote qu’elle savait perdant… si jamais on le laissait se dérouler.

Le vote a eu lieu. Défiant son aile dure, et alimentant une révolte intestine qui pourrait bientôt lui faire perdre son poste, le président de la Chambre, Mike Johnson, un ultraconservateur religieux bon teint à la Mike Pence, a passé outre et autorisé une décision sur l’aide à l’Ukraine (la séparant de l’aide à Taïwan et de l’aide à Israël, également adoptées).

* * * * *

Étonnante est la marge par laquelle ce « oui » à l’Ukraine est passé : 311 pour, 112 contre. Favorables à l’aide : la totalité des démocrates, plus 101 républicains sur 213… ce qui est beaucoup.

Des pointages informels du début de l’année laissaient penser qu’il n’y avait plus que quelques dizaines de républicains — silencieux et intimidés — prêts à soutenir l’Ukraine… l’essentiel des représentants de ce parti, ralliés au mouvement MAGA, se rangeant derrière les injonctions d’un Trump aux inclinations prorusses.

Cela dit, les 112 « non » à l’Ukraine, soit une majorité de la députation républicaine, font bien voir qu’il y a désormais un réel lobby prorusse au coeur des institutions américaines. Le redoutable idéologue Steve Bannon a fait des petits.

Quant à l’appui de la population américaine à la résistance ukrainienne, le dernier Gallup, en date du 12 avril, montre qu’il remonte, après avoir fléchi fin 2023. Aujourd’hui, 36 % des Américains disent que les États-Unis « n’en font pas assez » pour l’Ukraine et 26 % « tout juste assez » (total 62 %)… contre 36 % qui disent qu’on en fait « trop ».

Il ne fait aucun doute que le Sénat approuvera les fonds à son tour. Joe Biden a célébré ce vote comme « un résultat clair », y voyant, croit-il, « un message sur la puissance du leadership américain sur la scène mondiale » en réponse à « l’appel de l’histoire ».

Le vote constitue un revers majeur pour Donald Trump — même si, en fin de course, il avait adouci ses récriminations, voyant l’inévitable vote se profiler.

Depuis le temps où un certain Volodymyr Zelensky, fraîchement élu président à Kiev, avait refusé à l’été 2019 de jouer son jeu en allant déclencher des enquêtes arbitraires sur Joe Biden et son fils Hunter, Trump critique l’Ukraine, tout en manifestant régulièrement sa sympathie pour le dirigeant russe.

Trump répète souvent qu’il réglerait la guerre « en 24 heures ». Comment ? En laissant la Russie conserver les terres déjà arrachées à l’Ukraine, et en tordant le bras à Zelensky pour qu’il dise « oui ». Une ignominie, consistant à dire aux agressés : « Vous vous rendez, et le problème sera réglé. » Mais aussi, et surtout, une pure fantasmagorie trumpienne.

Pour se justifier face à ses radicaux, Mike Johnson a déclaré : « Je crois vraiment aux informations et aux briefings que nous avons reçus » [sur la situation difficile des troupes ukrainiennes]. Une hérésie ces jours-ci au sein du Parti républicain, quand on connaît le travail de sape de Trump contre le renseignement américain, qualifié d’« État profond » voué à sa perte.

* * * * *

Quels effets sur la guerre et sur la campagne américaine ?

Ces six mois de diversion à Washington, Poutine les a mis à profit pour enfoncer un coin contre les défenses ukrainiennes, en pénurie aiguë de munitions et de personnel, et au moral entamé par un sentiment d’abandon. Avec un Zelensky amer qui répétait ces derniers jours : « Donnez-vous une meilleure défense antiaérienne ; ils sont en train de détruire nos infrastructures. Donnez-nous des obus d’artillerie, et nous les repousserons dans le Donbass. »

Il reste à voir si ces nouvelles livraisons massives pourront aider Kiev à inverser la tendance.

Quant aux sondages — qui valent ce qu’ils valent, si loin d’une élection —, ils montrent Trump en légère baisse face à Biden, avec deux candidats toujours au coude-à-coude.

Mais ces deux événements simultanés montrent peut-être que quelque chose s’est cassé dans la « magie trumpienne ».

Pour rejoindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Trump a-t-il perdu la main?

18 0
22.04.2024

Une mauvaise semaine pour Donald Trump. Et une bonne pour Joe Biden et les dirigeants ukrainiens.

Aide américaine votée à l’Ukraine, après des mois de blocage. Début d’un procès historique au criminel contre un ancien président qui rêve de le redevenir.

Privées d’aide depuis un semestre, les troupes de Kiev sont en difficulté face à l’offensive massive de la Russie contre des cibles civiles (immeubles d’habitations, infrastructures énergétiques) et militaires (le Donbass, où l’armée russe avance lentement au prix du sacrifice, décidé par Vladimir Poutine, de milliers de ses propres soldats).

Aujourd’hui battu lors d’un vote au Congrès sur l’aide à Kiev, faisant face à la justice de son pays, Donald Trump est-il en train de perdre la main ?

À New York, l’ancien président se voit forcé de comparaître devant un jury pour crime présumé de dissimulation et de détournements de fonds dans une affaire sordide qui mêle le sexe et les dépenses électorales, dans un contexte médiatique qu’il ne contrôle pas et qui le désarçonne.

Et puis il y a cette décision, samedi à la Chambre des représentants, de voter une énorme enveloppe d’aide à l’Ukraine. Décision qui était sans doute inévitable à long terme, mais qui arrive — comme d’habitude dans cette guerre — très tard, peut-être trop du point de vue ukrainien.

Soyons clair : la majorité en faveur d’une telle mesure — dans l’opinion publique américaine comme sur le plancher du Congrès — n’a jamais........

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