Avec l’arrivée précoce du printemps, les détritus dissimulés sous la neige se sont révélés plus tôt que d’ordinaire, suscitant une vague d’indignation quant à la saleté de Montréal, entre autres. Pour ceux qui, dans les coulisses municipales, sont rodés aux rites printaniers, cette levée de boucliers était prévisible, bien qu’exagérée.

En principe, la grande opération de nettoyage s’engage dès le 1er avril, comme l’annoncent clairement les panneaux sur nos rues. L’arrivée du balai mécanique signale traditionnellement le retour imminent des beaux jours. Cependant, dans un contexte où les changements climatiques bousculent nos repères saisonniers, il est évident que cette année encore, nous avons été pris de court.

Dans le ballet saisonnier du nettoyage, les contrats avec les entreprises de déneigement prévoient traditionnellement une transformation de leur équipement de trottoirs en avril, permettant ainsi de passer du déneigement au nettoyage grâce à des outils hydrauliques adaptés. Cette année, la transition se heurte à la réalité des contrats qui prennent fin avec le mois de mars, laissant la Ville démunie devant l’impossibilité à si court terme de passer au nettoyage du printemps.

D’ailleurs, j’ai appris un jour, au détour d’une discussion avec un directeur de travaux publics, que le dernier déneigement sert bien souvent à nettoyer les rues et les trottoirs pour faire disparaître les déchets accumulés pendant l’hiver. Cette année, il n’y a pas eu ce fameux dernier déneigement. Résultat, nos valeureux déneigeurs n’ont pu se transformer en prestidigitateurs.

L’écho des plaintes résonne chaque printemps. Sitôt que commencent à émerger les déchets cachés sous la neige, on accuse certaines Villes de faire preuve d’inefficacité ou, pire, de négligence. Mais attribuer ce triste spectacle à une faillite municipale est réducteur, voire injuste. Ce que nous observons est plutôt le résultat d’un concours de circonstances climatiques qui préfigure une nouvelle normalité au sein de laquelle nos habitudes seront invariablement bouleversées.

La source du problème transcende la simple question de l’entretien par les services municipaux. Les déchets jonchant nos rues au dégel n’y surgissent pas par enchantement. Il y a bien des personnes qui en sont à l’origine. Réduire cette réalité printanière à un simple problème de nettoyage omet de considérer la multitude de facteurs sous-jacents qui nous ont conduits là.

Mettons de côté les actes d’insouciance où les déchets sont laissés à même le sol et les imprévus des opérations hivernales qui aggravent le problème. Par exemple, des ordures placées prématurément au bord des trottoirs et englouties par les tempêtes risquent de finir par éclater lors des opérations de déblaiement. Les débris s’éparpillent alors, condamnés à dormir sur le sol pour le reste de l’hiver.

Cela me fait penser à cette anecdote véridique mettant en scène… une toilette cachée sous la neige. Celle-ci endommagea sévèrement un équipement de trottoir et le pauvre dos de son opérateur lorsqu’il entra en collision avec elle. Des mésaventures de ce genre, typiques du Québec, illustrent bien l’ordinaire de ceux qui oeuvrent à rendre notre vie plus agréable au quotidien.

Alors, dans nos efforts individuels et collectifs pour faciliter le travail de ceux qui s’occupent de nos villes, que faisons-nous exactement ? Pas grand-chose, il faut bien l’admettre. Certains rétorqueront : « Mais je paye des taxes ! » Cette phrase, fréquemment invoquée pour exprimer son mécontentement envers le travail des services municipaux, révèle des positions souvent bien campées. L’idée que l’on puisse se définir d’abord comme « payeur de taxes » plutôt que comme un citoyen est très révélatrice.

Si certaines villes apparaissent plus négligées avec l’arrivée du printemps, ce n’est pas nécessairement la faute des élus ou des employés municipaux, bien au contraire. C’est plutôt le résultat de comportements, volontaires ou non, de certains individus tout au long de l’hiver. Est-ce par négligence, par désinvolture, par manque de civisme, ou encore par absence de fierté envers sa communauté ? La réponse est probablement un mélange de tout cela.

Heureusement, dans chaque recoin de nos villes, des personnes choisissent de faire des gestes significatifs pour en rehausser la beauté. Que ce soit en balayant le trottoir devant leur domicile ou leur commerce, ou en ramassant des détritus laissés sans égard, ces actions comptent. Ces citoyens engagés qui embellissent leur devanture et carré d’arbres avec des fleurs, des plantes vivaces ou même des légumes contribuent également à cette métamorphose urbaine.

D’autres personnes s’engagent dans des initiatives communautaires telles que les ruelles vertes, les journées de nettoyage de berges et bien d’autres actions bénévoles. L’amour et la fierté que l’on porte à notre ville ne relèvent pas uniquement des responsabilités des élus ou des travailleurs municipaux ; elles émergent surtout de l’engagement et de l’attention des citoyens eux-mêmes. Après tout, la ville nous appartient, à nous qui l’habitons et la façonnons quotidiennement. Chaque geste, aussi modeste soit-il, contribue à un élan collectif inspirant.

La fierté pour notre ville commence par un respect et un amour pour notre environnement immédiat, cultivé un petit geste à la fois. Je suis convaincu que ces contributions individuelles peuvent transformer radicalement l’apparence de notre ville à l’arrivée du printemps, pour le plus grand bonheur de tous, y compris les payeurs de taxes !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Aimer sa ville, ou pas - François William Croteau
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Aimer sa ville, ou pas

5 0
20.03.2024

Avec l’arrivée précoce du printemps, les détritus dissimulés sous la neige se sont révélés plus tôt que d’ordinaire, suscitant une vague d’indignation quant à la saleté de Montréal, entre autres. Pour ceux qui, dans les coulisses municipales, sont rodés aux rites printaniers, cette levée de boucliers était prévisible, bien qu’exagérée.

En principe, la grande opération de nettoyage s’engage dès le 1er avril, comme l’annoncent clairement les panneaux sur nos rues. L’arrivée du balai mécanique signale traditionnellement le retour imminent des beaux jours. Cependant, dans un contexte où les changements climatiques bousculent nos repères saisonniers, il est évident que cette année encore, nous avons été pris de court.

Dans le ballet saisonnier du nettoyage, les contrats avec les entreprises de déneigement prévoient traditionnellement une transformation de leur équipement de trottoirs en avril, permettant ainsi de passer du déneigement au nettoyage grâce à des outils hydrauliques adaptés. Cette année, la transition se heurte à la réalité des contrats qui prennent fin avec le mois de mars, laissant la Ville démunie devant l’impossibilité à si court terme de passer au nettoyage du printemps.

D’ailleurs, j’ai appris un jour, au détour d’une discussion avec un directeur de travaux publics, que le dernier déneigement sert bien souvent à nettoyer les rues et les trottoirs pour faire disparaître les déchets accumulés pendant........

© Le Devoir


Get it on Google Play