La conclusion de l’année 2023 s’est avérée particulièrement ardue pour le secteur du transport collectif, une tendance qui, malheureusement, se poursuit en 2024. Entre les problèmes de financement auxquels font face nos sociétés de transport, les péripéties incessantes du tramway de Québec, les contretemps répétés du Réseau express métropolitain (REM) et la réduction radicale de 230 postes à la Société de transport de Montréal (STM), le tableau n’est guère réjouissant pour l’avenir du transport durable au Québec.

Parallèlement à cela, la métropole a récemment dévoilé une initiative technologique sous la forme d’une plateforme avancée destinée à partager des données détaillées sur les chantiers montréalais. L’objectif ? Clarifier les responsabilités de chacun et préciser les calendriers des travaux pour — espérons-le — faciliter la vie des citoyens et citoyennes. À première vue, ces deux réalités peuvent sembler ne partager aucun lien ni aucune parenté entre elles. Mais en y regardant de plus près, on constate que toutes deux dessinent les contours d’un enjeu interconnecté bien plus vaste.

Récemment, alors que je naviguais sur Facebook — oui, ça m’arrive —, mon regard a été captivé par une publication affichant une photo de la Plaza Saint-Hubert datant des années 1940. Je sais très bien qu’il ne faut pas lire les commentaires. Ma curiosité a tout de même pris le dessus.

La grande majorité des commentaires se résumait en une phrase : regardez comme la chaussée est magnifique : aucun nid-de-poule ! Évidemment que la rue était belle, à cette époque ! Des voitures, il n’y en avait pas beaucoup. Pourtant, ce qui avait d’abord retenu mon attention, c’est l’élégance architecturale se dégageant de l’ensemble : la finesse des façades, la présence d’auvents, l’absence quasi totale de véhicules motorisés et, surtout, les nombreux piétons. C’est vrai que c’était mieux avant : « Make Plaza Great Again ! ».

Une de mes premières démarches, après mon élection, en 2009, a été de solliciter auprès de la direction générale une évaluation exhaustive de l’état des routes et des trottoirs de Rosemont–La Petite-Patrie, ainsi que du budget nécessaire pour remédier à leur dégradation. J’étais également curieux de connaître le délai estimé pour réaliser ces améliorations. Comme tout nouvel élu, j’étais empli d’une naïveté optimiste, persuadé que je pourrais surpasser les réalisations de mes prédécesseurs par la force d’une ferme volonté politique.

Leur verdict m’a rapidement ramené à une réalité désespérément claire. Pour réhabiliter les 250 kilomètres de rues et les 400 kilomètres de trottoirs de l’arrondissement, il aurait fallu y consacrer environ 12 millions de dollars par an pendant au moins 14 ans. Or, le budget alloué aux infrastructures, englobant les parcs, centres sportifs, centres de loisirs, piscines, installations aquatiques et mesures d’apaisement de la circulation, ne s’élevait qu’à 8 millions de dollars annuellement. En réalité, nous ne disposions que d’environ 2 millions de dollars chaque année pour les routes et trottoirs.

La réalité, malheureusement prévisible, n’a pas évolué. À moins de dépenses massives et disproportionnées dans nos infrastructures routières, il est illusoire de penser combler ce gouffre d’entretien accumulé au fil des ans. En vérité, et ce, depuis des décennies, plus de 60 % de nos dépenses publiques consacrées aux transports servent soit à construire de nouvelles routes, soit à en assurer l’entretien.

Pour briser ce cycle infernal d’entretien déficient et de dégradation continuelle, les options sont limitées. La principale cause de détérioration des chaussées réside dans l’intensité et le poids de la circulation, en particulier celui des véhicules lourds. À cela s’ajoutent les impacts de nos méthodes intensives de déneigement, l’utilisation d’abrasifs et les divers travaux d’infrastructures qui fragilisent davantage la chaussée, concoctant ainsi une recette infaillible pour la prolifération des nids-de-poule éternels !

Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais l’inévitable saison du dégel nous guette, prête à révéler son lot annuel de chaussées criblées de trous. Cette période sera inévitablement accompagnée d’un flot de commentaires et de reportages sur l’état désastreux de nos routes, suivis de près par la saison des réparations et son cortège de cônes orange. Curieusement, ces plaintes proviennent souvent des mêmes voix qui critiquaient auparavant l’état des infrastructures. Allez savoir, faudrait se brancher.

Le vrai changement passe par le transport collectif. Sans un investissement massif dans ce secteur, le puits sans fond des dépenses routières restera béant. L’expérience d’ailleurs le prouve : moins de voitures égalent moins de dégâts. Nous devons absolument considérer le transport en commun non comme une dépense, mais comme un investissement essentiel pour l’avenir de nos villes.

Il est temps de revoir notre vision : le transport collectif doit être perçu comme un service public fondamental, au même titre que la santé et l’éducation, et non comme une simple ligne de dépense. À travers le monde, l’idée de la mobilité en tant que service, le « MaaS » (Mobility as a Service), change la manière de concevoir l’accès aux transports. Ici, on tourne encore en rond autour des capacités de la Caisse de dépôt et placement à déployer un véritable réseau de transport structurant. Misère !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Les nids-de-poule éternels - François William Croteau
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Les nids-de-poule éternels

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07.02.2024

La conclusion de l’année 2023 s’est avérée particulièrement ardue pour le secteur du transport collectif, une tendance qui, malheureusement, se poursuit en 2024. Entre les problèmes de financement auxquels font face nos sociétés de transport, les péripéties incessantes du tramway de Québec, les contretemps répétés du Réseau express métropolitain (REM) et la réduction radicale de 230 postes à la Société de transport de Montréal (STM), le tableau n’est guère réjouissant pour l’avenir du transport durable au Québec.

Parallèlement à cela, la métropole a récemment dévoilé une initiative technologique sous la forme d’une plateforme avancée destinée à partager des données détaillées sur les chantiers montréalais. L’objectif ? Clarifier les responsabilités de chacun et préciser les calendriers des travaux pour — espérons-le — faciliter la vie des citoyens et citoyennes. À première vue, ces deux réalités peuvent sembler ne partager aucun lien ni aucune parenté entre elles. Mais en y regardant de plus près, on constate que toutes deux dessinent les contours d’un enjeu interconnecté bien plus vaste.

Récemment, alors que je naviguais sur Facebook — oui, ça m’arrive —, mon regard a été captivé par une publication affichant une photo de la Plaza Saint-Hubert datant des années 1940. Je sais très bien qu’il ne faut pas lire les commentaires. Ma curiosité a tout de même pris le........

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