La semaine dernière, le chef du Parti conservateur du Canada a une fois de plus usé de sa marque de commerce populiste avec des déclarations tranchantes qui ont davantage servi à attirer l’attention qu’à éclairer le débat. Avec une désinvolture devenue habituelle chez lui, il s’en est pris à la mairesse de Montréal et au maire de Québec, exposant ainsi son ignorance de la mécanique municipale. Un tourbillon de provocations et de raccourcis lui a permis de se maintenir sous les feux de la rampe, peu importe le vide sidéral de ses arguments.

Au-delà du contenu même de ses propos simplistes, ce qui frappe, c’est ce qu’ils trahissent, soit une tendance marquée chez Pierre Poilievre à désigner un bouc émissaire pour expliquer des situations complexes, cela en négligeant les nuances indispensables à toute compréhension approfondie. La crise du logement est en effet multifactorielle et elle requiert donc une pluralité de solutions, comme le reconnaissent les experts du domaine, qu’ils soient spécialistes en construction, en urbanisme, en économie ou en logement.

Cette situation met en lumière une problématique plus large qui afflige nos débats publics. Leur polarisation excessive nous incite à désigner un coupable unique derrière nos divers problèmes urbains. Cette simplification outrancière des enjeux en occulte les causes multiples et entrelacées, contribuant à l’érosion de la nuance et du dialogue constructif dans nos démocraties contemporaines.

Dans le paysage politique et médiatique actuel, les discours nuancés semblent manquer d’espace. Ils sont souvent perçus comme marqués par la langue de bois. On leur reproche leur caractère modéré, qu’on juge évasif. Au point que clarifier la complexité d’une situation pour proposer une solution réfléchie est parfois interprété comme de l’évitement, plutôt que comme le fruit d’une considération approfondie de tous les éléments en jeu.

Je persiste et signe : les problèmes complexes ne peuvent pas être résolus par des solutions simplistes. Une grande question demeure cependant : comment échapper au cycle infernal de désignation de boucs émissaires pour chacun de nos maux ? Nous avons tous, à un moment ou à un autre, succombé à la facilité des raccourcis intellectuels, trouvant là une satisfaction morale à imputer nos problèmes à une personne ou à une institution en particulier. Mais cela n’est, en réalité, qu’un expédient superficiel, bien loin de la profondeur que commandent de tels enjeux.

Le débat autour de la crise du logement illustre parfaitement comment un problème complexe peut être simplifié à outrance. Chacun a son coupable en tête : de la lenteur dans la délivrance des permis de construction au syndrome du « pas dans ma cour » en passant par les taux d’intérêt ou l’immigration. On oublie trop souvent que la réalité est faite de l’entrelacement de tous ces facteurs. Certains voudraient nous faire croire que les fonctionnaires municipaux du Canada ont conspiré pour ralentir la délivrance des permis de construction. C’est ridicule !

Le déneigement offre un autre exemple frappant de notre penchant pour la simplification. Indépendamment des conditions météorologiques, des changements climatiques ou de tout autre imprévu, les maires et mairesses se retrouvent rapidement sur le banc des accusés. Le jugement du tribunal populaire est alors rapide et impitoyable. Comme si ces élus étaient directement responsables des opérations complexes tenues dans ces conditions météorologiques extrêmes.

Dans ce monde parallèle, on imagine que, chaque jour de tempête, les conducteurs de chenillettes, les contremaîtres ou les élus se lèvent avec la ferme intention de mal effectuer leur travail. Le cliché « C’était mieux avant » revient comme un mantra, quelles que soient les circonstances. Notre mémoire collective est parfois étonnamment sélective. Elle est visiblement aux prises avec une nostalgie déformée devant l’incompréhensible complexité des événements. Quel soulagement c’est pour moi de ne plus avoir à gérer cela !

Idem avec les nids-de-poule. Il est facile de conclure que les maires et mairesses négligent leurs infrastructures routières. Pourtant, là encore, la réalité est loin d’être aussi simpliste. Accuser sans chercher à comprendre les causes structurelles de ces problèmes urbains est devenu monnaie courante. Des facteurs comme le trafic intense, la dégradation naturelle des routes, les variations climatiques et même les conséquences de nos opérations de déneigement sont souvent ignorés. Dans l’espace public, le « gros bon sens » semble régner en maître, éclipsant la complexité des problématiques urbaines.

Alors que nous nous apprêtons à entrer dans une année marquée par des élections à haut danger aux États-Unis, préparons-nous à un déluge de doigts dressés, de coupables désignés et de raccourcis intellectuels. On pourrait penser que nous sommes à l’abri de ces tumultes au Québec. Mais sommes-nous réellement si différents ? Peut-être que notre aversion pour le conflit est notre seule barrière contre ce torrent de polarisation ? La semaine dernière aura été révélatrice en ce sens : les discours réducteurs sur l’immigration et la crise du logement ont mis au jour nos failles. Au lieu de nous contenter de regarder les doigts accusateurs, je nous invite à embrasser la complexité de la forêt et à apprendre à naviguer dans sa diversité.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Montrer du doigt - François William Croteau
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24.01.2024

La semaine dernière, le chef du Parti conservateur du Canada a une fois de plus usé de sa marque de commerce populiste avec des déclarations tranchantes qui ont davantage servi à attirer l’attention qu’à éclairer le débat. Avec une désinvolture devenue habituelle chez lui, il s’en est pris à la mairesse de Montréal et au maire de Québec, exposant ainsi son ignorance de la mécanique municipale. Un tourbillon de provocations et de raccourcis lui a permis de se maintenir sous les feux de la rampe, peu importe le vide sidéral de ses arguments.

Au-delà du contenu même de ses propos simplistes, ce qui frappe, c’est ce qu’ils trahissent, soit une tendance marquée chez Pierre Poilievre à désigner un bouc émissaire pour expliquer des situations complexes, cela en négligeant les nuances indispensables à toute compréhension approfondie. La crise du logement est en effet multifactorielle et elle requiert donc une pluralité de solutions, comme le reconnaissent les experts du domaine, qu’ils soient spécialistes en construction, en urbanisme, en économie ou en logement.

Cette situation met en lumière une problématique plus large qui afflige nos débats publics. Leur polarisation excessive nous incite à désigner un coupable unique derrière nos divers problèmes urbains. Cette simplification outrancière des enjeux en occulte les causes multiples et entrelacées, contribuant à........

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