Entre autres, le Centre canadien de politiques alternatives nous a longtemps habitués à un rendez-vous annuel de début d’année. Ce fut le cas en janvier 2023, où l’on apprenait que les 100 p.-d.g. les mieux rémunérés des sociétés de l’indice boursier S&P/TSX avaient gagné 14,3 millions de dollars, en moyenne, en 2021. Ou encore, 243 fois le salaire des travailleurs moyens. Ou qu’ils avaient mis 43 minutes pour faire ce que le travailleur moyen mettrait toute l’année à gagner. C’est selon ! Et si ces excès étaient imposés ?

Le Directeur parlementaire du budget (DPB) s’est livré la semaine dernière à l’exercice de chiffrer la motion déposée par le député néodémocrate Jagmeet Singh visant l’augmentation du taux d’imposition des sociétés et la divulgation du ratio entre le salaire du p.-d.g. comparativement au salaire médian des employés. Dans cette motion, il est proposé d’augmenter le taux d’imposition des grandes entreprises ayant des disparités dans le ratio entre le salaire du p.-d.g. comparativement au salaire médian des employés. L’augmentation serait de 0,5 point de pourcentage si le ratio était compris entre 50 et 100, pour être portée progressivement à 5 points de pourcentage si le ratio était égal ou supérieur à 500.

Conclusion ? Ce serait payant… sur papier. Le DPB estime que la mesure permettrait au fédéral de percevoir des recettes fiscales supplémentaires nettes de 8,91 milliards de dollars (11,02 milliards bruts) au cours de la période de cinq ans retenue. Cela dit, les auteurs de la note ont appliqué « une réponse comportementale à l’augmentation effective de l’impôt sur le revenu des sociétés (IRS) en utilisant l’élasticité de ce revenu imposable par rapport aux changements du taux d’imposition associé. Car l’impôt supplémentaire étant calculé sur l’IRS, il faudra forcément s’attendre à une réaction comportementale modifiant cette assiette fiscale sous-jacente. Cette perte au chapitre de l’IRS est évaluée à 1,8 milliard sur cinq ans dans le scénario de base mentionné.

Bref, les entreprises touchées activeraient le travail de leurs conseillers fiscalistes avec pour effet d’annuler une partie des recettes supplémentaires produites par la mesure proposée. Selon les auteurs de la note, en supposant une forte élasticité, la perte au chapitre de l’IRS passerait à 5,2 milliards, réduisant ainsi les recettes fédérales supplémentaires à 5,12 milliards sur la période retenue.

On parle ici d’une estimation comptable, au demeurant utopique. Ne serait-ce que parce que l’exercice est effectué en circuit fermé, sans égard à ce vieux réflexe bien ancré des conseils d’administration consistant à fixer la rémunération du p.-d.g. selon celles versées aux dirigeants d’entreprises semblables par leur taille ou leur chiffre d’affaires. Déjà il est souligné dans le rapport qu’à partir des données historiques, seul un petit nombre d’entreprises auraient été assujetties à l’impôt additionnel (environ 300 chaque année). Des modifications à la rémunération des p.-d.g. pourraient réduire ce nombre, précise le DPB. « L’ampleur de l’impact comportemental peut également varier. »

Aussi, la motion déposée est d’autant plus difficilement applicable que la rémunération variable peut occuper un poids dominant dans la rémunération totale. Et qu’elle fait davantage appel aux actions, aux bénéfices non répartis ou aux écritures hors bilan qu’à une réduction des dépenses. En 2021, 83 % de la rémunération totale des 100 p.-d.g. provenaient de cette portion dite variable comprenant primes, options sur actions et actions. Ce pourcentage était de 69 % avant la grande récession de 2008-2009. Une portion qui, faut-il le rappeler, se nourrit très souvent de cours boursiers carburant aux mesures dites financières ayant trop souvent emprunté dans le passé à la rationalisation des effectifs, à la délocalisation de la production, aux rachats d’actions et aux incitations à la vente de l’entreprise.

Sans oublier qu’au fil des ans l’expérience enseigne que l’écart de rémunération a sans cesse crû au rythme de la montée des dénonciations et des tentatives d’endiguement, pour atteindre son haut historique en 2021. Dit autrement, toutes les tentatives visant à mettre un terme à ces excès ont généré une rémunération toujours plus ingénieuse et plus stratosphérique. Primes au rendement transformées en primes de rétention ou remplacées par des parachutes dorés, délaissement des options d’achat pour les remplacer par des unités ou droits à la plus-value des actions, compensations contractuelles en cas de revers des marchés boursiers, allocations de départ plus généreuses ou bonification du régime de retraite…

L’écart de 243 atteint en 2021 nous fait oublier que l’on évoquait un ratio d’à peine 60 à la fin des années 1990. Que de chemin parcouru ! L’écart est même passé du simple au double lorsque l’on aborde la rémunération des cadres de deuxième ou de troisième échelon hiérarchique, a déjà calculé l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.

On le sait. Les conseils d’administration et hauts dirigeants sont tout simplement prisonniers d’une logique empruntée aux sports professionnels, et pris au piège d’un système de comparaison horizontale. Ils sont plutôt dubitatifs face aux arguments des spécialistes en management y voyant une politique de rémunération basée sur des indicateurs incitant à la performance à court terme, voire à une priorisation du rendement total de l’actionnaire. Faut-il aussi souligner que, pour nombre d’entreprises inscrites en Bourse, il y a crainte qu’une sous-performance vienne plonger l’actionnariat sous l’influence de fonds spéculatifs, d’actionnaires activistes et d’autres investisseurs institutionnels opportunistes.

Mais tout cela a déjà été écrit plus d’une fois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Et si les excès de salaire des p.-d.g. étaient imposés?

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14.12.2023

Entre autres, le Centre canadien de politiques alternatives nous a longtemps habitués à un rendez-vous annuel de début d’année. Ce fut le cas en janvier 2023, où l’on apprenait que les 100 p.-d.g. les mieux rémunérés des sociétés de l’indice boursier S&P/TSX avaient gagné 14,3 millions de dollars, en moyenne, en 2021. Ou encore, 243 fois le salaire des travailleurs moyens. Ou qu’ils avaient mis 43 minutes pour faire ce que le travailleur moyen mettrait toute l’année à gagner. C’est selon ! Et si ces excès étaient imposés ?

Le Directeur parlementaire du budget (DPB) s’est livré la semaine dernière à l’exercice de chiffrer la motion déposée par le député néodémocrate Jagmeet Singh visant l’augmentation du taux d’imposition des sociétés et la divulgation du ratio entre le salaire du p.-d.g. comparativement au salaire médian des employés. Dans cette motion, il est proposé d’augmenter le taux d’imposition des grandes entreprises ayant des disparités dans le ratio entre le salaire du p.-d.g. comparativement au salaire médian des employés. L’augmentation serait de 0,5 point de pourcentage si le ratio était compris entre 50 et 100, pour être portée progressivement à 5 points de pourcentage si le ratio était égal ou supérieur à 500.

Conclusion ? Ce serait payant… sur papier. Le DPB estime que la mesure permettrait au fédéral de percevoir des recettes fiscales supplémentaires nettes de 8,91 milliards de dollars (11,02 milliards bruts) au cours de la période de cinq ans retenue. Cela........

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