Le Jour de la Terre est l’occasion de nous rappeler que l’avancée de l’investissement responsable dans les portefeuilles ne se fait qu’à petits pas. Sur le terrain, la priorité des entreprises est tout simplement ailleurs. Elles pourraient toutefois être rattrapées par un activisme actionnarial mordant et plus exigeant.

Voyons les chiffres publiés par l’Institut des fonds d’investissement du Canada. À la fin de 2023, l’actif des fonds communs de placement axés sur l’investissement responsable totalisait 40 milliards de dollars et celui des fonds négociés en Bourse (FNB) axés sur l’investissement responsable, 16,3 milliards. On parle donc d’à peine 2,1 % du total de l’actif des fonds communs de placement et de 4,3 % du total de l’actif des FNB respectivement. Petite consolation, les fonds communs de placement axés sur l’investissement responsable représentaient l’un des rares segments du secteur des fonds communs de placement à afficher une croissance positive l’an dernier.

On le sait, il reste encore de nombreux irritants à surmonter. Les trois principaux obstacles à la croissance de l’investissement responsable maintes fois évoqués dans les sondages restent, dans l’ordre, l’écoblanchiment, l’absence de normes ou de cadres standardisés de divulgation et le manque de données fiables.

Sur ce dernier point, il faut dire que les risques associés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) attirent peu l’attention des conseils d’administration des entreprises. Dans son enquête 2024 sur la gouvernance au Québec, le Collège des administrateurs de sociétés a mesuré que le risque le plus critique pour la performance future de l’entreprise défini par les conseils d’administration (CA) est le recrutement et la rétention du personnel, avec un indice de criticité de 86,9 %. Dans la liste des risques qualifiés de très critiques, on retrouve ensuite le contexte économique (indice de 78,4 %), la cybersécurité (73,7 %), l’évolution des marchés et de la concurrence (70 %), le financement et les subventions (64,7 %), la transformation numérique et l’automatisation (64,2 %) puis, à la toute fin de la note de passage, le départ et la succession du p.-d.g. (60,2 %).

Sous les 60 % de l’indice, on retrouve les enjeux environnementaux (56,7 %), la gouvernance (56,4 %), la culture organisationnelle (55,8 %), les enjeux sociaux (54,9 %) et le contexte législatif et la politique locale (53,3 %). Les pandémies et les catastrophes (49,4 %), les chaînes d’approvisionnement (48,8 %), l’intelligence artificielle (47,6 %) et le contexte géopolitique international (41,1 %) complètent les risques et menaces à surveiller sur le radar des CA.

Chez les PME aussi, les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques se heurtent à des impératifs évoqués comme étant plus immédiats, tels que l’inflation, les taux d’intérêt élevés, la pénurie de main-d’oeuvre et le manque de connaissances et d’expertise nécessaires. Pourtant, « leur importante empreinte carbone les expose à de sérieux risques de transition, en plus des risques physiques auxquels elles sont confrontées en raison des changements climatiques », rappelle la Banque de développement du Canada (BDC). L’institution a publié une étude en janvier dans laquelle elle dit estimer que les PME génèrent 52 % de tous les gaz à effet de serre produits par les entreprises canadiennes. Soit l’équivalent de 41 % des émissions totales du Canada.

On peut y lire que la moitié des PME canadiennes ont déjà pris des mesures pour réduire leur empreinte carbone au cours des cinq dernières années, alors que 32 % n’ont rien fait et n’ont pas l’intention d’agir. Cela dit, 7 % des PME canadiennes, et 14 % des entreprises qui ont mené des actions climatiques, ont calculé leurs émissions de GES. Et si l’empreinte totale doit couvrir les émissions de GES s’étendant à l’ensemble de la chaîne de valeur (dite de portée 1, 2 et 3), seulement 9 % des PME qui ont calculé leurs émissions de GES au cours des cinq dernières années ont pris en compte la globalité du spectre.

Pourtant l’activisme actionnarial n’a jamais été aussi actif qu’en 2023. Selon la banque d’investissement Lazard, les campagnes d’actionnaires contre la direction des entreprises ont atteint un niveau record l’an dernier. Et la tendance devrait perdurer.

Les thématiques de nature financière restent importantes, notamment aux États-Unis où l’activisme d’investisseurs cherchant à prendre le contrôle de l’entreprise et à maximiser les profits « a fait son retour ». Mais les critères ESG continuent de progresser, peut-on lire dans un texte de l’Agence France-Presse. « Les campagnes ne sont plus exclusivement conduites par des investisseurs. Certaines ONG lancent ainsi de véritables campagnes […] soutenues par la constitution de plusieurs fonds spécialisés en la matière », soulignait en décembre 2022 un rapport du Club des juristes sur l’activisme actionnarial. Des fonds institutionnels (du type fonds de pension) entrent aussi dans le combat, de même que de plus petits fonds alternatifs (« hedge funds »), souligne Lazard.

Plus près de nous, Investors for Paris Compliance a mesuré, parmi les 35 investisseurs évalués, que le taux de soutien aux résolutions climatiques a augmenté de manière générale l’an dernier. Un peu plus de la moitié des investisseurs ont voté davantage en faveur qu’en défaveur de résolutions climatiques. Il ressort de l’analyse que les gestionnaires de fonds de pension ont eu tendance à voter davantage en faveur des résolutions climatiques que les gestionnaires d’actifs privés, ce qui peut s’expliquer par le fait que les premiers ont une vision à plus long terme de leurs investissements.

Une autre observation d’intérêt se dégage d’une étude semestrielle réalisée en décembre par la firme de consultants en investissement responsable Millani auprès de 32 détenteurs et gestionnaires d’actifs canadiens représentant environ 4500 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Pour eux, l’intégration des critères ESG dans le processus décisionnel n’était qu’une étape. Ils passent désormais à l’investissement d’impact et souhaitent obtenir des résultats mesurés de leurs investissements établissant à la fois les opportunités et les risques liés à la durabilité de leur entreprise, ainsi que les impacts de leurs activités opérationnelles sur les personnes et sur l’environnement.

On élève la pression d’un autre cran.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Hésitante adoption des critères ESG en investissement - Gérard Bérubé
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Hésitante adoption des critères ESG en investissement

9 0
20.04.2024

Le Jour de la Terre est l’occasion de nous rappeler que l’avancée de l’investissement responsable dans les portefeuilles ne se fait qu’à petits pas. Sur le terrain, la priorité des entreprises est tout simplement ailleurs. Elles pourraient toutefois être rattrapées par un activisme actionnarial mordant et plus exigeant.

Voyons les chiffres publiés par l’Institut des fonds d’investissement du Canada. À la fin de 2023, l’actif des fonds communs de placement axés sur l’investissement responsable totalisait 40 milliards de dollars et celui des fonds négociés en Bourse (FNB) axés sur l’investissement responsable, 16,3 milliards. On parle donc d’à peine 2,1 % du total de l’actif des fonds communs de placement et de 4,3 % du total de l’actif des FNB respectivement. Petite consolation, les fonds communs de placement axés sur l’investissement responsable représentaient l’un des rares segments du secteur des fonds communs de placement à afficher une croissance positive l’an dernier.

On le sait, il reste encore de nombreux irritants à surmonter. Les trois principaux obstacles à la croissance de l’investissement responsable maintes fois évoqués dans les sondages restent, dans l’ordre, l’écoblanchiment, l’absence de normes ou de cadres standardisés de divulgation et le manque de données fiables.

Sur ce dernier point, il faut dire que les risques associés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) attirent peu l’attention des conseils d’administration des entreprises. Dans son enquête 2024 sur la gouvernance au Québec, le Collège des administrateurs de sociétés a mesuré que le risque le plus critique pour la performance future de........

© Le Devoir


Get it on Google Play