On évoque souvent les limites à la comparaison de l’écart de revenu entre le Québec et l’Ontario, ne serait-ce qu’en raison du différentiel du coût de la vie, de l’étendue des programmes sociaux québécois et de la profondeur du mécanisme de redistribution. Mais cela entre dans l’explication de l’écart des charges fiscales entre les deux provinces. Qu’en est-il de l’autre écart, celui de richesse ?

D’abord, encore faut-il se comparer à quelque chose et ici l’Ontario est une base naturelle, compte tenu des liens commerciaux qui nous lient et de l’intensité de la compétition entre les deux économies. Et veut-on plutôt se comparer avec cet écart de richesse défavorable de 52,3 % entre le Québec et les États-Unis ? Ou à celui de 23,1 % avec les économies dites avancées ?

Dit autrement, si ce petit jeu de comparaison peut paraître futile pour plusieurs, une approche empruntant au coût d’opportunité lui apporte une certaine pertinence, voire une valeur certaine. La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) a estimé qu’en 2022, s’il y avait eu absence d’écart de richesse avec l’Ontario, le Québec aurait récolté autour de 16 milliards de dollars de revenus autonomes additionnels, de quoi s’extraire du système de péréquation. « Cette somme aurait pu servir à combler la perte de péréquation [13,7 milliards de dollars en 2022-2023], à mieux financer les services publics, à réduire les impôts ou encore un mélange des trois. De plus, sur la base des proportions des composantes du PIB en 2022, le rattrapage du PIB réel par habitant se serait également traduit par une hausse récurrente des salaires évaluée à 9000 $ par employé », lit-on dans l’analyse.

Ce qui ne peut qu’inciter à poursuivre l’exercice. Certes, d’aussi loin que les statistiques sur le PIB existent, « le Québec a toujours eu un PIB réel par habitant inférieur à l’Ontario. En 1961, l’écart de niveau de vie observé était autour de 30 % », rappelle la Chaire. N’empêche, le Québec a tout de même réussi à réduire cet écart de 8,1 points de pourcentage (à 14 %) entre 1990 et 2022, contre 4,5 points (à 15,2 %) avec le Canada et ses provinces pétrolières.

Mais quant aux cibles retenues par le gouvernement Legault, le plus dur reste à faire dans la marche vers une réduction à moins de 10 % de l’écart avec l’Ontario d’ici 2026, et vers son élimination en 2036. Les conclusions de la CFFP sont parlantes. Si l’écart devait tomber à 12,8 % en 2023, selon les plus récentes statistiques du Québec et de l’Ontario en matière de croissance du PIB réel, les données budgétaires actuelles indiquent qu’il sera de 12 % en 2026. Relativement à la cible de 2036, toujours basée sur l’écart de PIB réel par habitant, « l’analyse tendancielle depuis le sommet conjoncturel de 1990 révèle que le seul facteur “temps” ne sera pas suffisant en vue de combler entièrement l’écart […] Un écart supérieur à 10 % serait toujours présent en 2036. »

Si l’on qualifie aisément d’ambitieuses les cibles du gouvernement québécois, l’exercice permet tout de même d’orienter le choix des politiques économiques. Et ici, on voit que l’approche québécoise ne coule pas de source. L’effort doit venir à 80 % de l’accroissement de la productivité, à 10 % de l’augmentation du bassin de la population active et à 10 % du taux d’emploi, retient-on à Québec. Les auteurs de l’analyse de la CFFP ne sont pas sans souligner, à larges traits, que « dans le contexte économique actuel, augmenter la croissance de la productivité ne sera pas chose aisée au Québec. D’ailleurs, si au cours des dernières décennies, l’écart de niveau de vie s’est estompé, l’écart de productivité a plutôt eu tendance à s’accroître ».

Ce qui ne réduit en rien l’importance de stimuler le PIB potentiel du Québec dans l’exercice de réduction de l’écart. Notamment par un accroissement de ce que les économistes appellent l’intensité du capital par travailleur, qui exhorte à encourager l’investissement en capital fixe des entreprises par des interventions ciblées.

Mais plus que tout — ce que le Centre sur la productivité et la prospérité ne cesse de marteler —, en 2021, plus de 80 % des sommes allouées sous la forme de crédits d’impôt ciblaient l’emploi, finançant de facto une partie des salaires afférents. Une approche que le Centre a qualifiée d’aberrante, particulièrement dans la conjoncture où l’enjeu de la rareté de la main-d’oeuvre freine la croissance économique et réduit presque à néant l’efficacité de cette aide fiscale, a-t-on déjà écrit. « Une importante réflexion de fond devra s’amorcer pour sortir l’appareil gouvernemental de sa logique de protection de l’emploi et de croissance de la taille des entreprises en matière de développement économique », estime le Centre dans son bilan 2022.

Afin d’enrichir cette réflexion, l’économiste indépendant Jean-Pierre Aubry rappelle dans un courriel que depuis les années 1980, la recherche en matière de politiques publiques a été davantage axée sur la maximisation du bien-être collectif (par habitant) que sur la maximisation du PIB (par habitant). « D’une certaine façon, on peut dire que le Québec, le Canada et d’autres pays comme les pays scandinaves sont plus efficaces à produire du bien-être pour l’ensemble de leur population avec relativement moins de PIB par habitant que les États-Unis. En cette période où nous sommes plus conscients des contraintes environnementales, c’est une bonne chose de s’éloigner d’un modèle de croissance où le bien-être collectif serait davantage relié à une surconsommation rendue possible par une surproduction »… stimulée à coup de fortes subventions.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Qu’en est-il de ce fameux écart de richesse entre le Québec et l’Ontario? - Gérard Bérubé
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Qu’en est-il de ce fameux écart de richesse entre le Québec et l’Ontario?

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29.11.2023

On évoque souvent les limites à la comparaison de l’écart de revenu entre le Québec et l’Ontario, ne serait-ce qu’en raison du différentiel du coût de la vie, de l’étendue des programmes sociaux québécois et de la profondeur du mécanisme de redistribution. Mais cela entre dans l’explication de l’écart des charges fiscales entre les deux provinces. Qu’en est-il de l’autre écart, celui de richesse ?

D’abord, encore faut-il se comparer à quelque chose et ici l’Ontario est une base naturelle, compte tenu des liens commerciaux qui nous lient et de l’intensité de la compétition entre les deux économies. Et veut-on plutôt se comparer avec cet écart de richesse défavorable de 52,3 % entre le Québec et les États-Unis ? Ou à celui de 23,1 % avec les économies dites avancées ?

Dit autrement, si ce petit jeu de comparaison peut paraître futile pour plusieurs, une approche empruntant au coût d’opportunité lui apporte une certaine pertinence, voire une valeur certaine. La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP) a estimé qu’en 2022, s’il y avait eu absence d’écart de richesse avec l’Ontario, le Québec aurait récolté autour de 16 milliards de dollars de revenus autonomes additionnels, de quoi s’extraire du système de péréquation. « Cette somme aurait pu servir à combler la perte de péréquation [13,7 milliards de dollars en 2022-2023], à mieux financer les services publics, à réduire les impôts ou encore un mélange des trois. De plus, sur........

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