On sait l’ascendant stupéfiant qu’exerce Donald Trump sur le Parti républicain. Or ce que démontre et confirme la saison des primaires républicaines ouverte à la mi-janvier, ce n’est pas seulement que cet ascendant perdure, mais qu’il s’élargit.

Après ses victoires faciles dans l’Iowa, le New Hampshire et le Nevada, l’ancien président l’a emporté samedi en Caroline du Sud par une marge de quelque 20 points de pourcentage sur sa rivale Nikki Haley. C’est dire que Trump arrive à s’imposer partout parmi les conservateurs américains, au-delà des différences géographiques, démographiques, religieuses, idéologiques. Et si le noyau dur de ces appuis demeure les travailleurs-blancs-sans-diplôme, il dispose aussi maintenant de la bénédiction des républicains plus scolarisés, ce qui n’était pas le cas il y a même un an. De plus, il règne toujours dans le monde rural, mais a maintenant percé dans les banlieues. Un sondage de Fox News, parmi d’autres, a mesuré que l’appui à Trump de cette tranche « diplômée » de l’électorat avait doublé à 60 % au cours de l’année dernière.

Point de bascule des opinions : mars 2023, lorsque M. Trump a été mis en accusation par un grand jury de Manhattan pour des versements faits en 2016 à l’actrice du porno Stormy Daniels pour qu’elle taise leur liaison. (Le procès pénal en cette affaire doit s’ouvrir le 25 mars prochain, avec la fanfare qu’on imagine.)

Comprendre : elle fonctionne à merveille, la stratégie de M. Trump consistant à se dire victime partout et tout le temps d’une chasse aux sorcières et d’une présidentielle volée. En Caroline du Sud, les sondages de sortie des urnes indiquaient qu’à peine plus de 30 % des votants croyaient que Joe Biden avait réellement gagné en 2020. Ses mensonges sont vérité parmi ses militants, à tel point qu’il a pu récemment prétendre sans rire qu’il était un « dissident politique », persécuté au même titre qu’Alexeï Navalny. Le déclin de M. Biden, entré dans le grand âge, conforte ces militants dans leurs certitudes tordues.

Il n’en ira pas autrement mardi prochain, quand se tiendront des votes dans 15 États et un territoire, celui des Samoa américaines, à l’occasion du grand happening traditionnel du Super Tuesday. Un « Super Mardi » qui constituera, sauf immense imprévu, le baroud d’honneur de Mme Haley en même temps qu’il confirmera, comme si ce n’était pas déjà le cas, la candidature de facto de l’ex-président à la présidentielle américaine du 5 novembre prochain. Si Mme Haley dispose toujours de fonds suffisants pour tenir encore un moment, l’un de ses principaux donateurs, Americans for Prosperity Action, de l’influente famille Koch, a fait savoir dimanche qu’il lui coupait les vivres pour prioriser certaines luttes clés au Sénat et à la Chambre des représentants.

À s’accrocher, Mme Haley fait du reste le calcul qu’à 52 ans, elle a peu à perdre, puisque se présentera forcément, un jour ou l’autre, un après-Trump. Et qui sait si, à court terme, pour d’inopinées raisons personnelles ou judiciaires, M. Trump ne trébuchera pas. Cela dit, Nikki Haley aura développé depuis le début de sa carrière une impressionnante capacité à jouer sur plusieurs tableaux, à dire tout et son contraire, à la faveur d’évolutions opportunistes. Sur la question de l’avortement. Dans ses relations avec le mouvement libertarien du Tea Party, qui est particulièrement influent en Caroline du Sud et dont elle s’est bien servie en 2009 afin d’être élue gouverneure de l’État, pour ensuite s’en distancer… Dans ses relations avec Trump lui-même, qu’elle conspuait en 2016, comme bien d’autres, mais qu’elle a encensé de façon dithyrambique une fois devenue son ambassadrice à l’ONU. Jamais, depuis le début de la course à l’investiture républicaine, elle n’a remis en cause l’acceptabilité même de la candidature de l’ex-président, au vu de sa participation à l’insurrection du 6 janvier et des procès qui lui pendent au bout du nez. Son ambivalence traduit celle de ses propres partisans — qui ne sont pas tous des « Never Trumpers ».

Que les sondages disent à répétition que Mme Haley aurait de bien meilleures chances que Trump de battre Biden à la présidentielle est un argument sans grande prise sur les républicains. La majorité est sous le charme d’un populisme pétri d’émotions et de récriminations, à l’envers de la résignation sceptique que suscite la candidature du président Biden. Un scepticisme qui tient parfois de la contestation explicite, le mouvement d’opposition propalestinien organisé autour de la primaire démocrate de l’État clé du Michigan, qui se tenait mardi, en étant la plus récente manifestation.

Trump surfe sur la marée montante et mondiale d’une mouvance d’extrême droite : où les discours transgressifs et autoritaires font mouche, où l’insécurité économique nourrit une tendance au repli social et identitaire, où les politiques sociales-démocrates, par lesquelles on tente de colmater les inégalités, peinent à faire échec à cette ample mouvance populiste, ainsi qu’en fait foi l’élection de l’« anarcho-capitaliste » Javier Milei en Argentine. Une marée qui n’est pas près de refluer.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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28.02.2024

On sait l’ascendant stupéfiant qu’exerce Donald Trump sur le Parti républicain. Or ce que démontre et confirme la saison des primaires républicaines ouverte à la mi-janvier, ce n’est pas seulement que cet ascendant perdure, mais qu’il s’élargit.

Après ses victoires faciles dans l’Iowa, le New Hampshire et le Nevada, l’ancien président l’a emporté samedi en Caroline du Sud par une marge de quelque 20 points de pourcentage sur sa rivale Nikki Haley. C’est dire que Trump arrive à s’imposer partout parmi les conservateurs américains, au-delà des différences géographiques, démographiques, religieuses, idéologiques. Et si le noyau dur de ces appuis demeure les travailleurs-blancs-sans-diplôme, il dispose aussi maintenant de la bénédiction des républicains plus scolarisés, ce qui n’était pas le cas il y a même un an. De plus, il règne toujours dans le monde rural, mais a maintenant percé dans les banlieues. Un sondage de Fox News, parmi d’autres, a mesuré que l’appui à Trump de cette tranche « diplômée » de l’électorat avait doublé à 60 % au cours de l’année dernière.

Point de bascule des opinions : mars 2023, lorsque M. Trump a été mis en accusation par un grand jury de Manhattan pour des versements faits en 2016 à l’actrice du porno Stormy Daniels pour qu’elle taise leur liaison. (Le procès pénal en........

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