Le temps politique est sur le point de se contracter aux États-Unis, alors que va s’ouvrir l’insigne saison des primaires avec la tenue le 15 janvier prochain des caucus de l’Iowa. Un exercice où Donald Trump demeure partout en avance, outrageusement, malgré en même temps que grâce à tous les procès qui lui pendent au bout du nez. Si demain se tenaient les primaires dans chacun des États, il les remporterait probablement toutes haut la main.

L’espoir est le dernier à mourir, dit un proverbe brésilien. Ainsi en est-il donc des républicains anti-Trump qui, face à un Ron DeSantis, gouverneur de la Floride, ne répondant guère aux attentes, se tournent vers l’improbable Nikki Haley, en progression sensible dans les sondages, certes, mais encore très loin de menacer l’hégémonie du meneur dans la course à l’investiture du Parti républicain en vue de la présidentielle de 2024. Cinquante points de pourcentage les séparent à l’échelle nationale. On croit aussi peu aujourd’hui en l’éviction de Trump que l’on croyait en son élection en 2016. L’agitation autour de Nikki Haley pourrait n’être que passagère.

L’inflexion ne mériterait peut-être pas tant d’attention si l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud, et ex-ambassadrice américaine à l’ONU sous M. Trump, ne venait pas de recevoir un appui majeur, celui de la machine politique de la richissime famille Koch, non sans par ailleurs semer la controverse. Cette dernière est sans conteste à la source du plus puissant réseau conservateur de financement politique du pays, connu sous le nom d’Americans for Prosperity Action. Le réseau des Koch s’était abstenu de prendre position sur les présidentielles de 2016 et 2020. Qu’il rompe avec cette neutralité en mettant ses oeufs dans le panier de Mme Haley, dans l’espoir qu’elle arrive à créer une dynamique anti-Trump porteuse, est notable. D’autant que, s’agissant du nerf de la guerre, la caisse électorale de Nikki Haley est de quelque 18 millions de dollars, selon le site Ballotpedia ; celle de Trump, de 60,5 millions. Les sous des Koch rétabliront un certain équilibre.

À cinq semaines et des poussières des caucus de l’Iowa, la lutte que se livrent M. DeSantis et Mme Haley pour le rôle de principal mais fort lointain rival de M. Trump fait l’objet d’analyses dont la presse américaine se délecte. Dans les intentions de vote dans l’Iowa, la « modérée » Haley est au coude-à-coude avec le conservateur orthodoxe DeSantis à la candidature vacillante. Elle est d’autre part en avance sur lui au New Hampshire, où se tiendront des primaires dès la semaine suivante. Iowa et New Hampshire : deux champs de bataille qui donnent souvent le ton. Ou non. Que Mme Haley poursuive sur sa lancée et les pressions s’intensifieront sur Chris Cristie, ex-gouverneur du New Jersey qui a fait de la dénonciation tous azimuts de M. Trump son fonds de commerce, pour qu’il abandonne la course à l’investiture au profit de la politicienne. Autant de spéculations qui auront nécessairement pesé sur le quatrième débat télévisé entre candidats républicains qui se tenait mercredi soir à Tuscaloosa, en Alabama — en l’absence, comme d’habitude, de Donald Trump.

La famille républicaine se chamaillant, on n’en oublie pas qu’ils sont sensiblement tous de la même école idéologique, à des degrés divers de dérapage droitier. Ils ne sont pas tous de la même chapelle, mais ils appartiennent tous à la même grande église conservatrice qui a perdu le nord, unis dans leur hostilité antidémocrate. Les Koch ont beau avoir été révulsés par la tentative de Trump de renverser le résultat des élections de 2020, l’un et l’autre n’en sont pas moins proches camarades par leurs affinités libertariennes. Il a fallu l’assaut du 6 janvier 2021 pour que des gens comme Nikki Haley et Liz Cheney, qui publiait mercredi un opus anti-Trump intitulé Oath and Honor, mordent enfin la main qui les avait nourries. Si bien que, d’une certaine manière, ce ne sont pas tant les visées de M. Trump que sa méthode qui les heurte, l’ex-président étant l’aboutissement, extrême et grotesque, d’un Parti républicain qui entretient depuis au moins Cheney père, sous George W. Bush, le dessein d’une « présidence impériale », toute-puissante, libérée des contre-pouvoirs.

Deux papiers dystopiques publiés lundi, l’un dans le New York Times, l’autre par The Guardian, montrent en quoi une deuxième présidence Trump serait plus autoritaire, plus violente et plus vengeresse que la première, comme l’homme et ses fidèles ont appris de leurs erreurs pendant le premier mandat et appris à manipuler les rouages de l’État. Que Trump soit réélu et la démocratie et la société américaines feraient face à des turbulences inimaginables. Entendu qu’on ne peut donc qu’espérer qu’une Nikki Haley arrive à trouver la recette capable de bloquer la route à Trump avant la prochaine présidentielle. Pour autant, cela n’empêcherait pas l’extrême droite, par tendance lourde, de continuer à percoler au sein du Parti républicain.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - Une hypothèse nommée Nikki - Guy Taillefer
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Une hypothèse nommée Nikki

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07.12.2023

Le temps politique est sur le point de se contracter aux États-Unis, alors que va s’ouvrir l’insigne saison des primaires avec la tenue le 15 janvier prochain des caucus de l’Iowa. Un exercice où Donald Trump demeure partout en avance, outrageusement, malgré en même temps que grâce à tous les procès qui lui pendent au bout du nez. Si demain se tenaient les primaires dans chacun des États, il les remporterait probablement toutes haut la main.

L’espoir est le dernier à mourir, dit un proverbe brésilien. Ainsi en est-il donc des républicains anti-Trump qui, face à un Ron DeSantis, gouverneur de la Floride, ne répondant guère aux attentes, se tournent vers l’improbable Nikki Haley, en progression sensible dans les sondages, certes, mais encore très loin de menacer l’hégémonie du meneur dans la course à l’investiture du Parti républicain en vue de la présidentielle de 2024. Cinquante points de pourcentage les séparent à l’échelle nationale. On croit aussi peu aujourd’hui en l’éviction de Trump que l’on croyait en son élection en 2016. L’agitation autour de Nikki Haley pourrait n’être que passagère.

L’inflexion ne mériterait peut-être pas tant d’attention si l’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud, et ex-ambassadrice américaine à l’ONU sous M. Trump, ne venait pas de recevoir un appui........

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