Ainsi, rien n’empêche de relancer le réacteur nucléaire à Gentilly, selon les mots mêmes d’une étude commandée par Hydro-Québec.

Rien. Sinon de l’argent. Beaucoup d’argent.

Rien. Sinon le bon sens.

Ce ne serait pas avant 2035, nous dit-on. Vu le temps qu’il faut pour mettre en train ce genre d’opérations, c’est demain.

L’étude a été réalisée par AtkinsRéalis. Une firme connue auparavant sous le nom de SNC-Lavalin. Ce sont eux qui sont les maîtres d’oeuvre des réacteurs nucléaires canadiens CANDU. Au fond, c’est un peu comme si on demandait à l’industrie pétrolière de se prononcer sur l’à-propos des puits de pétrole.

À quand le jour où les renards seront conviés, pour leur part, à nous expliquer ce que nous devons penser des poulaillers ?

En août 2023, la nouvelle direction d’Hydro-Québec avait affirmé, contre toute attente, qu’il serait « irresponsable à ce moment-ci » de ne pas considérer de près la relance du nucléaire sur les rives du Saint-Laurent. Irresponsable ?

Le ministre Fitzgibbon, l’homme qui clame ne pas être achetable pour seulement 100 $, avait donné dans la foulée plusieurs signes de contentement, tout en formulant des considérations favorables au nucléaire.

Il est difficile d’imaginer qu’au nom de la raison on ne soit pas totalement mobilisé contre l’absurdité de pareils programmes de production d’énergie nucléaire au Québec. Faut-il croire que l’idée de progrès, du moins pour certains, ne conduise pas forcément au progrès de l’esprit ?

Les réacteurs se sont améliorés, dit-on. Cependant, des accidents ou des incidents s’avèrent toujours possibles, comme l’actualité n’a cessé de nous le prouver. Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima ne sont quand même pas rien. Au Japon, plus d’un million de mètres cubes d’eau contaminée viennent d’être jetés à l’océan, faute d’espace pour les stocker ad vitam aeternam. Quelles seront les conséquences sur la vie marine ?

En mai 1977, le réacteur Gentilly 1 est arrêté en raison d’un bris. Dix tonnes d’eau lourde, chargées de 31 000 curies de tritium, s’échappent de la centrale dans le fleuve Saint-Laurent. Après cinq ans d’activité seulement, c’en est terminé de Gentilly 1. Il faut néanmoins attendre 1984 pour retirer le combustible, sans pour autant résoudre la question des déchets radioactifs. En tout et pour tout, Gentilly 1 n’aura fonctionné que l’équivalent de 183 journées. Cette centrale avait coûté 128 millions de dollars à réaliser, soit l’équivalent de plus de 900 millions en 2024.

La nouvelle centrale, Gentilly 2, va la remplacer. De petits comprimés d’iode sont distribués à la population des environs. Jusqu’en 2012, les citoyens ont la consigne de les avaler, en cas de pépin, pour tenter de sauver au moins leur glande thyroïde… Trop coûteux, le site est finalement fermé en 2012. Mais il faudra attendre 2060 pour qu’il soit tout à fait sécurisé. Là encore, la question des déchets radioactifs s’avère un casse-tête impossible.

En Ontario, à Chalk River, on vient d’accorder, au mépris des objections, le feu vert à la construction d’une installation pour gérer les déchets nucléaires. Là-bas, deux accidents nucléaires sérieux sont survenus en 1952 et en 1958. Ils avaient nécessité l’intervention de l’armée. Il s’en est fallu de peu pour que tout glisse du côté du pire. Parmi les spécialistes dépêchés en vitesse sur place se trouvait un futur président des États-Unis : Jimmy Carter. Plus d’un demi-siècle plus tard, les militaires qui ont travaillé, comme Carter, à la décontamination de Chalk River se sont vu offrir par Ottawa — pour peu qu’ils soient encore vivants — un gros chèque de… 24 000 $.

Justifié dans des pirouettes au nom de la lutte contre les changements climatiques, l’engouement pour l’énergie nucléaire n’est pas en passe de diminuer. Ses risques non plus. À quel prix ? À l’été 2023, le gouvernement canadien indiquait vouloir réviser à la hausse le régime d’indemnisation adopté en 2016 en cas d’accident nucléaire. Ottawa s’engageait désormais à verser 1 milliard de dollars à titre de plafond de compensation plutôt que les 75 millions prévus initialement. Une hausse à la mesure de la conscience des risques.

Un corps irradié, secoué par les nausées, voué à se flétrir par la conjonction de cancers, comment est-il en vérité « indemnisé » ?

Le nucléaire constitue un danger et un poids sur l’avenir de l’humanité dont le Québec peut très bien se passer.

J’entends d’ici dire ceci : « Oh ! Monsieur Nadeau… Vous exagérez tellement ! Les centrales nucléaires civiles, après tout, ne sont pas à confondre avec des armes nucléaires. Voyons, Monsieur Nadeau ! »

Les radiations ignorent si elles sont militaires ou civiles. Elles nous mettent toujours à portée de mort, peu importe au nom de quel drapeau elles sont produites. Qui va nier aujourd’hui que la technologie nucléaire transférée par le Canada à l’Inde a permis à ce pays de développer des bombes ? Le Canada est-il devenu pour autant ami avec New Delhi ?

La centrale nucléaire de Zaporijjia, en Ukraine, n’est pas un site militaire. Au mépris de la vie, elle sert néanmoins de cible dans le conflit avec la Russie.

Qui seront demain les nouveaux dirigeants capables d’envisager, comme ceux d’aujourd’hui, la destruction de l’humanité sans broncher ? Faut-il ignorer le fait que Néron, Gengis Khan et Napoléon ont sans cesse trouvé à se réincarner jusqu’à aujourd’hui ?

Même de parfaits inconnus peuvent avoir, face au nucléaire, des desseins pour le moins dangereux. En 1982, un ingénieur israélo-suisse, Chaïm Nissim, s’était lancé à l’assaut d’un site nucléaire en France. Il était armé d’un lance-roquettes. Qu’est-ce qui pourrait désormais survenir du genre, à l’heure où des drones à petit prix permettent de mener discrètement partout le feu et la mort depuis un ciel tout bleu ?

Être responsable, ce n’est pas s’incliner ou se laisser intimider en faveur du nucléaire devant des ingénieurs à gages ou des politiciens de passage.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Être responsable - Jean-François Nadeau
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Être responsable

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05.02.2024

Ainsi, rien n’empêche de relancer le réacteur nucléaire à Gentilly, selon les mots mêmes d’une étude commandée par Hydro-Québec.

Rien. Sinon de l’argent. Beaucoup d’argent.

Rien. Sinon le bon sens.

Ce ne serait pas avant 2035, nous dit-on. Vu le temps qu’il faut pour mettre en train ce genre d’opérations, c’est demain.

L’étude a été réalisée par AtkinsRéalis. Une firme connue auparavant sous le nom de SNC-Lavalin. Ce sont eux qui sont les maîtres d’oeuvre des réacteurs nucléaires canadiens CANDU. Au fond, c’est un peu comme si on demandait à l’industrie pétrolière de se prononcer sur l’à-propos des puits de pétrole.

À quand le jour où les renards seront conviés, pour leur part, à nous expliquer ce que nous devons penser des poulaillers ?

En août 2023, la nouvelle direction d’Hydro-Québec avait affirmé, contre toute attente, qu’il serait « irresponsable à ce moment-ci » de ne pas considérer de près la relance du nucléaire sur les rives du Saint-Laurent. Irresponsable ?

Le ministre Fitzgibbon, l’homme qui clame ne pas être achetable pour seulement 100 $, avait donné dans la foulée plusieurs signes de contentement, tout en formulant des considérations favorables au nucléaire.

Il est difficile d’imaginer qu’au nom de la raison on ne soit pas totalement mobilisé contre l’absurdité de pareils programmes de production d’énergie nucléaire au Québec. Faut-il croire que l’idée de progrès, du moins pour certains, ne conduise pas forcément au progrès de l’esprit ?

Les réacteurs se sont........

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