Les géants pharmaceutiques se portent bien. Très bien même. Chez Novo Nordisk, on voit gros. Cette société danoise a repris la formule de l’Ozempic, ce médicament créé pour lutter contre le diabète et détourné par des riches et des vedettes pour conjurer l’obésité. Elle l’a reconfiguré dans une formule destinée à ne faire qu’une bouchée des excès de poids.
Ce nouveau produit, le Wegovy, engraisse ses actionnaires. La capitalisation boursière de Novo Nordisk s’affiche en haut des palmarès : plus de 500 milliards de dollars.
Novo Nordisk affirme que le Wegovy devrait être accessible aux Canadiens ce printemps. Son médicament est déjà approuvé par l’agence gouvernementale Santé Canada. Sa forte demande, un peu partout, avait rendu impossible sa commercialisation plus tôt au pays des érables.
Aux États-Unis, un adulte sur deux est obèse. Un sur quatre au Canada. En France, ce serait un sur cinq. Autour du globe, un être humain sur huit est accablé par l’obésité. Chez les jeunes, le taux d’obésité gonfle partout.
Tout cela pourrait se dégrader encore davantage, à mesure qu’une partie de l’humanité bouge de moins en moins, mange de plus en plus mal et s’appauvrit à l’infini.
Manger trop sucré et trop salé, se gaver de produits qui font engraisser constitue un des marqueurs de la pauvreté. Et la pauvreté, vous l’avez compris, est une pilule amère plus difficile à avaler qu’un comprimé de Wegovy.
Prenez la France, le pays de la gastronomie. Paris est à la veille d’accueillir, avec les Jeux olympiques d’été, la plus grande manifestation sportive du monde : 206 pays réunis. Au même moment, la France observe un engouement sans précédent pour la malbouffe. Elle s’avère désormais un des plus gros marchés pour les fast-foods. Les chaînes du genre s’y trouvent en pleine croissance.
Selon une enquête, commandée par un ministère de la République française, seulement 66 % des 15 à 24 ans mangent régulièrement des fruits et des légumes. Dans cette catégorie d’âge, 60 % mangent dans un fast-food au minimum une fois par mois. Un jeune Français sur cinq pense voir un concombre ou une aubergine quand on lui présente une courgette.
Que donnerait un sondage pareil de ce côté-ci de l’Atlantique ? Une étude récente montre que près de 60 % des produits transformés vendus sur nos tablettes d’épiceries contiennent trop de sel, trop de sucre, trop de gras, selon les seuils établis par Santé Canada. Et après, on s’étonne que les paysans s’inquiètent de leur pays. Nous n’avons pas fini de voir des agriculteurs ruer dans les brancards, comme ce fut le cas en France, mais aussi, ces derniers jours, à Rimouski et à La Malbaie. Les hôpitaux sont pleins, mais les poches de ceux qui nous font bien manger sont vides. Cherchez l’erreur.
Aux Jeux olympiques de Paris, les spectateurs du monde entier pourront constater, une fois de plus, que les Américains feront moisson du plus grand nombre de médailles. N’est-ce pas particulier qu’un des pays dont la population est la moins en forme remporte le plus de titres olympiques ?
La secte des athlètes en est venue à vivre dans un monde à part, tout en nous faisant croire qu’il faut se joindre à elle pour espérer bien se porter. Or voilà qu’une petite pilule de Wegovy se pointe le nez et promet le paradis sans trop forcer, sans même devoir changer la société.
Entre le lancement de ses fusées qui vont s’éclater dans l’atmosphère pour continuer de la polluer, Elon Musk est un des premiers à se féliciter de l’existence du Wegovy. Jusqu’ici, à voir les dernières sorties du multimilliardaire déjanté, le Wegovy n’a apparemment eu aucun effet pour amincir sa mégalomanie.
Enchantée elle aussi par cette nouveauté, l’animatrice vedette Oprah Winfrey a quitté le conseil d’administration de Weight Watchers, une entreprise qui fait la promotion de régimes alimentaires depuis des décennies. Le titre de Weight Watchers, lui aussi coté en Bourse, s’est retrouvé à piquer du nez. Il se joue gros autour de l’obésité.
L’usage du Wegovy devrait coûter environ 5000 $ par personne par année, ai-je lu quelque part. Tant mieux si cela en aide certains. Je ne suis pas médecin pour en juger. Mais personne ne me fera croire que ce problème de santé publique qu’est l’obésité se règle globalement avec une aussi coûteuse fuite en avant.
Nos corps sont devenus des boulets qui pèsent lourd sur nos sociétés gavées de nourritures ultratransformées. Au point qu’il nous faut, paraît-il, des montres intelligentes pour nous encourager à tout simplement marcher, c’est-à-dire à bouger ne serait-ce qu’un minimum.
Une publicité d’une marque automobile vante ces jours-ci les mérites d’un véhicule électrique idéal, semble-t-il, pour aller chercher son café. Qui aurait pensé qu’il faudrait un jour compter sur un accessoire pareil pour s’offrir un café ? Prendre vos deux pieds et marcher, c’est apparemment si dépassé…
Bien sûr, comme tout le monde, vous voudriez bien sortir, prendre l’air, marcher, respirer. Seulement, vous n’avez pas trop le temps. Et puis bientôt, il fera trop chaud… Si en plus vous avez des enfants, chacun sait qu’ils ne veulent plus jouer dehors. Jouer dehors leur apparaît comme une corvée. Ils préfèrent les jeux vidéo. Cela vous donne d’ailleurs une excuse pour leur en acheter de nouveaux. Et pour ne pas sortir plus qu’eux. Quel genre de parents seriez-vous si vous laissiez vos enfants seuls à poireauter à la maison ? Aussi bien faire comme eux.
Nous aimons plus que jamais les fictions. Plutôt que de tendre notre énergie, nous préférons l’affaler sur un sofa. Toute une société est en passe d’oublier que la réalité a toujours plus d’imagination que l’imagination.
Depuis le confort de votre salon, il est inutile de lever le petit doigt. Entre deux visites sur les réseaux sociaux, vous pouvez très bien déplorer que les Palestiniens crèvent de faim. Et votre train-train se maintient.
Avec l’Ozempic et les Olympiques qui s’en viennent, pourquoi après tout se faire mourir à vivre ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
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