Petit lundi d’été tranquille, j’ai l’inconscience de relayer sur Facebook une réflexion sur la solitude attribuée au comédien Jim Carrey : « La solitude est dangereuse et très addictive ! Cela devient une habitude après avoir réalisé à quel point c’est calme et paisible. » Les guerres ne se déclenchent pas autrement. Sortez les drones. 70 commentaires plus tard, c’est un procès sur #lesgens qui ont le nerf d’occuper un appartement seul. La crise du logement échauffe les esprits. On cherche des coupables en cliquant frénétiquement.

Les immigrants sont une cible de choix. Selon un sondage Environics récent, 4 Canadiens sur 10 — une augmentation de 17 % en un an — trouvent qu’il y a trop d’immigration dans un pays où, traditionnellement, on manque davantage d’histoire que de géographie et de frontières. Et cette opinion est directement liée à la crise du logement. Soit.

Le prochain sondage portera sur les 19 % de gens qui vivent seuls au Québec. On vous accusera d’être célibataire, divorcé ou vieille veuve oubliée. Vous pourriez vous regrouper dans le même lit King (ou Queen si vous êtes féministe) pour atténuer votre obésité spatiale.

Chaque fois que l’on refuse 1 milliard pour le logement, c’est 10 milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons, les asiles de fous

Que dire des gardes partagées où des lits d’enfants sont laissés vides une semaine sur deux ? Sans parler d’une chambre pour chaque enfant, une norme plutôt récente dans l’histoire de l’humanité. Ça me rappelle que j’ai partagé une chambre avec mon frère jusqu’à l’âge de dix ans et que personne n’avait appelé la DPJ.

On pourrait aussi mentionner que #lesgens qui font plus de 1,49 enfant contribuent à la longue au problème du logement à moins de les avertir que les Tanguy sont redevenus très tendance.

On pourrait aussi accuser #lesgens de ne pas accueillir leurs vieux parents chez eux, comme cela se faisait du temps où les femmes « ne travaillaient pas ». Ou alors parquer ces mêmes vieux un peu séniles (ou pas) dans une salle de CHSLD à huit sans salle de bain comme cela s’est vu à Saint-Adèle cet automne.

Les coupables et les solutions ne manquent pas lorsqu’on s’y met.

Il suffira d’être créatif pour trouver les 860 000 logements (jusqu’à 1,1 million, selon le flux migratoire d’après la Société canadienne d’hypothèques et de logement) qui manquent au Québec d’ici 2030… soit six ans. Il faut compter également sur une pénurie de 6500 travailleurs de la construction, un détail. Faire venir des Mexicains pour ériger des tours de condos ou pour cueillir des fraises n’exige pas les mêmes qualifications.

Qu’on fasse comme en Russie, me direz-vous : une famille par chambre, un rond du poêle chacune et une salle de bain pour toutes. Ou alors qu’on fasse des rotations entre les appartements libres de snowbirds l’hiver et les chalets vides l’été. On peut aussi envisager le VR stationné dans la cour, la vie en van, le VUS, le cabanon, le garage, le couch surfing ou le woofing. Et l’idée d’héberger des étudiants gratuitement dans des RPA en échange de bénévolat est carrément porteuse. Les colocs âgés se regroupent de plus en plus, incapables d’affronter le coût exorbitant des loyers avec leurs maigres pensions. Sans parler des « pods », des dortoirs plus coûteux qu’une auberge de jeunesse au centre-ville, à la japonaise.

Les municipalités devront peut-être autoriser leurs habitants à user d’imagination, à installer des minimaisons sur leurs terrains d’unifamiliales afin d’agrandir la « famille », interdire carrément les Airbnb comme on l’a fait pour les investisseurs étrangers (seulement pour deux ans) en matière d’immobilier. Et taxer encore plus les résidences secondaires, car la crise touche nos campagnes aussi. Ne hurlez pas, Québec solidaire n’est pas au pouvoir.

[…] c’est à se demander si la population dans la guérilla qui l’oppose à la propriété privée, à la spéculation et au gros argent n’a pas baissé les bras, trop sidérée par les lettres d’éviction ou les hausses de loyer […]

J’ai apprécié le ton mordant du récent roman Que notre joie demeure de Kevin Lambert face aux dérives du capitalisme immobilier. Cela dit, j’ai laissé tomber le livre à deux reprises. Les phrases proustiennes de 14 lignes m’ont perdue. Difficile d’éprouver de l’affection pour des gens dont les seuls problèmes se résument à prêter leur avion privé, à étouffer les scandales et à serrer les bonnes mains tout en déprimant dans leurs 30 pièces de 11 000 pieds carrés au centre-ville dans le Mille carré doré… (je viens d’en dénicher une… vide, à 7,76 millions). Mais je m’égare.

C’est vrai chez les animaux comme chez les humains : plus vous occupez un rang élevé et plus votre espace territorial est grand. Et plus la densité résidentielle est élevée, plus les troubles psychologiques s’installent. Pourtant, la solitude nous tue. Les extrêmes ne sont jamais souhaitables.

Le problème est multifactoriel, les solutions aussi. Mon premier 4½ au coeur du Plateau (à 168 $/mois, il y a 40 ans) servait à héberger une famille entière il y a 100 ans. Deux pièces doubles et deux minuscules garde-robes. Le même logis coûte maintenant 1450 $ délabré ou 2400 $ rénové « au goût du jour ». Mais c’est devenu le minimum syndical pour une personne seule (ou un couple) qui travaille à la maison. Parce qu’on demande aussi aux cols blancs de fournir le bureau gratuitement à leurs employeurs.

Si la solution à la crise climatique consiste à densifier, il faudra revoir en profondeur nos critères en matière d’espace et construire en conséquence, comme cela se fait de plus en plus : petits condos, espaces communs partagés, dont le cotravail et les loisirs. Devant la flambée du prix des maisons, les futurs acheteurs se tournent vers ces condos.

Autres temps, autres moeurs, mon grand-père me racontait qu’il partageait le lit d’un autre homme durant la crise de 1929, à son arrivée à Montréal, dans le quartier des Gaspésiens. Alban, 20 ans, occupait le lit la nuit ; l’autre, le jour. Mon grand-père se vantait de coucher avec la femme de son coloc, mais de ne pas y toucher. Tout Gaspésien héberge un conteur et un pêcheur.

À la même époque, on pouvait « dormir sur la corde à linge ». Pour 5 sous, on étendait des cordes dans des dortoirs et les hommes assis sur des bancs ronflaient appuyés sur la corde qu’on retirait au matin. C’était l’étape avant la rue, d’où l’expression (https://bit.ly/3R0XgSI).

Difficile à croire, moins de 100 ans plus tard, alors que nous avons fait de l’accès à la propriété le symbole ultime de la réussite sociale. En spéculant sur nos logis, nous avons créé cette crise de toutes pièces, en oubliant le toit.

cherejoblo@ledevoir.com

Adoré le film Ru, tiré du livre de Kim Thúy, scénarisé par Jacques Davidts et réalisé par Charles-Olivier Michaud. La petite Kim, délogée de son Vietnam natal, puis promenée entre camps de réfugiés et Granby, porte en elle tout ce que les mots « réfugiés », « résilience » et « reconstruction » peuvent vouloir dire. Magnifique et touchante adaptation d’un livre que je relirai dans son édition de luxe, tout juste publiée.

Savouré cette épigraphe en exergue du livreQue notre joie demeure de Kevin Lambert, une perle d’un premier ministre canadien :

« Nous devons protéger les intérêts des minorités, et les riches sont toujours moins nombreux que les pauvres. »

John A. Macdonald, 1864

Aimé cet article sur San Francisco dans le New Yorker, « What happened to San Francisco, really ? » de Nathan Heller. On y parle de la chute de cette ville high-tech, en partie à cause de la pandémie et des opioïdes. Mais on y voit se dessiner l’avenir des centres-villes nord-américains, à cause de l’IA qui n’occupe ni bureaux ni appartements : « Le centre-ville du futur sera plus petit, plus dense, moins orienté bureaux pour les travailleurs. » On y interviewe notamment un entrepreneur qui vit dans sa roulotte Airstream et assiste à des réunions sur la plage.

Nos bureaux et stationnements du centre-ville transformés en condos régleront-ils une partie du problème de densification tant souhaitée ?

Le film documentaire Septième fois scénarisé et produit par Marie-Sophie L’Heureux n’est pas qu’un voyage de 1200 kilomètres à vélo, Montréal-Gaspé. C’est l’affranchissement d’une femme qui souhaite briser le souvenir douloureux d’une relation toxique et des séquelles laissées par ce que l’on confond souvent avec l’amour. Le road trip introspectif permet cette métamorphose.

Il faut souvent plusieurs fois pour arrêter de fumer ou quitter une relation abusive, voire dangereuse. Marie-Sophie, qui a annulé son mariage, se raconte au fil des étapes. Le film est diffusé gratuitement sur Vimeo dans le cadre des Journées d’action contre la violence faite aux femmes, jusqu’au 10 décembre prochain.

J’ajoute que depuis son voyage initiatique, Marie-Sophie est devenue directrice adjointe de l’information au Devoir, qu’elle était infirmière dans une autre vie et qu’elle chante comme un petit oiseau sorti de sa cage, en plus d’être une poète qui s’ignore sur IG. À voir ici.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Dormir sur la corde à linge - Josée Blanchette
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Dormir sur la corde à linge

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01.12.2023

Petit lundi d’été tranquille, j’ai l’inconscience de relayer sur Facebook une réflexion sur la solitude attribuée au comédien Jim Carrey : « La solitude est dangereuse et très addictive ! Cela devient une habitude après avoir réalisé à quel point c’est calme et paisible. » Les guerres ne se déclenchent pas autrement. Sortez les drones. 70 commentaires plus tard, c’est un procès sur #lesgens qui ont le nerf d’occuper un appartement seul. La crise du logement échauffe les esprits. On cherche des coupables en cliquant frénétiquement.

Les immigrants sont une cible de choix. Selon un sondage Environics récent, 4 Canadiens sur 10 — une augmentation de 17 % en un an — trouvent qu’il y a trop d’immigration dans un pays où, traditionnellement, on manque davantage d’histoire que de géographie et de frontières. Et cette opinion est directement liée à la crise du logement. Soit.

Le prochain sondage portera sur les 19 % de gens qui vivent seuls au Québec. On vous accusera d’être célibataire, divorcé ou vieille veuve oubliée. Vous pourriez vous regrouper dans le même lit King (ou Queen si vous êtes féministe) pour atténuer votre obésité spatiale.

Chaque fois que l’on refuse 1 milliard pour le logement, c’est 10 milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons, les asiles de fous

Que dire des gardes partagées où des lits d’enfants sont laissés vides une semaine sur deux ? Sans parler d’une chambre pour chaque enfant, une norme plutôt récente dans l’histoire de l’humanité. Ça me rappelle que j’ai partagé une chambre avec mon frère jusqu’à l’âge de dix ans et que personne n’avait appelé la DPJ.

On pourrait aussi mentionner que #lesgens qui font plus de 1,49 enfant contribuent à la longue au problème du logement à moins de les avertir que les Tanguy sont redevenus très tendance.

On pourrait aussi accuser #lesgens de ne pas accueillir leurs vieux parents chez eux, comme cela se faisait du temps où les femmes « ne travaillaient pas ». Ou alors parquer ces mêmes vieux un peu séniles (ou pas) dans une salle de CHSLD à huit sans salle de bain comme cela s’est vu à Saint-Adèle cet automne.

Les coupables et les solutions ne manquent pas lorsqu’on s’y met.

Il suffira d’être créatif pour trouver les 860 000 logements (jusqu’à 1,1 million, selon le flux migratoire d’après la Société canadienne d’hypothèques et de logement) qui manquent........

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