Oubliez Netflix et la dernière série en noir et blanc (pour ou contre, on s’en sacre-tu ?). Le comédien et animateur Vincent Graton nous propose un récit tout-terrain en mode route de garnotte aux quatre coins du monde dans Climat d’urgence, une série documentaire qu’il vient de terminer pour TV5. Il qualifie ce projet du plus important de sa carrière et s’y est investi corps et âme durant un an, à la sueur de sa chemise, en mangeant de la poussière de chemin et en buvant des thés de l’amitié dans le désert.

Les effets des changements climatiques sont au coeur du projet, mais c’est l’humain et les populations en première ligne qui sont les vedettes de cette série bouleversante d’authenticité et d’urgence. Pas d’experts, pas de grandes théories, que du terrain, quelques figures de proue d’ONG locales et des images renversantes de ce que les gens vivent déjà un peu partout dans une crise sans précédent qui les fait basculer dans la survie, souvent du jour au lendemain.

« Y’a pas de Botox, pas de showbiz dans ça. Le nombre de fois où j’ai braillé pendant les tournages, c’était un running gag avec l’équipe », confie Vincent Graton, en essuyant une larme. Le père de famille de quatre enfants, dont le benjamin a 17 ans, aura le regard embué plusieurs fois durant notre rencontre.

C’est une version assagie du réputé bouillant comédien que je retrouve cette semaine dans un café de la Rive-Sud. « Je suis en mille miettes depuis mon retour, je ne sais plus par quel boutte prendre ça. J’en ai très peu parlé à ma famille ; c’est tellement dur comme sujet. Je suis vraiment fucké… » ajoute l’animateur, qui célébrera ses 65 ans dans un mois. Les 12 pays et États visités (le 13e tournage se fera au Québec en mai) l’ont chaviré, du Japon au Pérou, en passant par le Kenya ou par Israël.

Les trois premiers épisodes de Climat d’urgence (Bangladesh, Sénégal, Australie) m’ont ébranlée aussi. Pour souligner le Jour de la Terre, je m’apprêtais à vous parler de nos excuses toutes faites, celles qui nous maintiennent dans le statu quo et le triangle de l’inaction (industrie-consommateur-gouvernements, qui se renvoient la balle sans bouger), et finalement, l’émission de Graton nous tend un miroir cassé en mille miettes de nos atermoiements et lâchetés, sans morale ni leçons. Voilà le topo. L’image suffit à nous présenter l’état des lieux de façon implacable.

Nous sommes des ombres dans un nulle part absurde. C’est la guerre partout. La terre aura le dernier mot, il n’y a pas d’autres certitudes. On veut juste pas y croire.

« C’était important, ma posture… là-bas et à mon retour, ici », note celui qui joue les cassandres malgré lui. « Ce que j’ai vu est si horrible que la moindre question devient imbécile. » De fait, on n’assiste pas aux aventures de Crocodile Dundee, ni à un voyeurisme indécent, non plus qu’à la quête de bonheur d’un homme blanc privilégié habillé par Kanuk sur le sommet d’une montagne du Bhoutan. Nenon.

La posture se situe au niveau du coeur, et c’est par cette porte d’entrée universelle que cet humaniste passionné réussit à s’infiltrer partout, que ce soit dans des tentes en plastique surchauffées de pêcheurs sénégalais déplacés dans le désert par l’érosion de la mer, ou dans des bidonvilles d’agriculteurs aux terres inondées reconvertis en ouvriers du textile pour fabriquer des gaminets à deux balles au Bangladesh. Des parents doivent donner leur adolescente de 13 ans en mariage parce qu’ils auront une bouche de moins à nourrir.

Vincent a parcouru des « territoires blessés par cette espèce de vortex climatique qui emporte tout », selon ses mots. « Et à travers ces désastres, ces drames… tant de beauté itou. Des gens qui se relèvent, qui se battent, qui réinventent ; des traversées chez les Masaïs ou en terre samburu qui émeuvent, questionnent nos conforts, nos indifférences. »

Ce qui frappe de ces rencontres parfois dues au hasard, c’est à la fois la résilience, parfois le fatalisme, beaucoup de sagesse ancestrale, mais toujours l’instinct de survie du groupe qui prend le dessus. On s’attache à Doudou, ce fermier qui tente de freiner l’avancée du désert et de créer une oasis, un garde-manger pour sa communauté sénégalaise. « Doudou voit le lien qui nous relie ; c’est ça qui me touche, indique Vincent dans l’épisode. Tant qu’on ne verra pas le territoire mondial comme notre territoire commun, ça ne marchera pas, notre patente. »

La prochaine COP a intérêt à s’en souvenir.

« L’écologie, c’est aussi relationnel, des rapports humains », relève Vincent, qui a foulé le sol d’une Australie calcinée, inondée et lézardée d’immenses ravins à cause des sécheresses. Le territoire devient impraticable. Il se pose même la question qui tue, les deux bottes dans la poussière, en fixant la caméra : « Est-ce qu’il est trop tard ? »

Mais si l’humanité était capable d’adaptation, elle n’en serait pas là aujourd’hui. Elle aurait depuis longtemps compris qu’une apocalypse thermo-climatique s’avance vers elle à grands pas et se serait adaptée à cette donne. Un psychopathe ne s’adapte pas. Il persiste. Jusqu’à la fin.

« Pour notre tournage en Californie, la recherchiste se faisait engueuler par des gens qui niaient le rapport entre les incendies et les changements climatiques. Oui, il y en avait avant, mais le problème, c’est l’intensité et la fréquence ! » raconte l’animateur.

Au Bangladesh, on ne parle pas de quelques milliers de déplacés par année, mais de 40 millions depuis dix ans — l’équivalent de la population du Canada. C’est 2000 réfugiés par jour qui arrivent dans la capitale, Dacca, de 15 % à 20 % de la population qui est constamment aux prises avec la montée des eaux, et de 50 % à 80 % des habitants qui sont impactés lors des inondations.

« Je m’attendais à ce que ce soit rock and roll et terrible, mais je ne m’attendais pas à ce que cette crise fracasse les identités, des modes de vie ancestraux, des Masaïs qui ne peuvent plus être nomades, des pêcheurs privés de la mer et des agriculteurs déplacés en ville. »

« Les gens s’en câlissent du Bangladesh, souligne Vincent. Je reviens avec la conviction de l’énormité des défis personnels et collectifs. C’est mo-nu-men-tal. Ça va nous obliger à redéfinir le monde. »

Climat d’urgence n’est que la bande-annonce de ce qui nous attend tandis que nous construisons des usines de batteries et des barrages pour maintenir notre productivité.

« Nos excuses pour conserver notre mode de vie tiennent-elles la route devant ce que tu as vu ? »

Vincent marque un silence… puis : « Non. C’est sûr que non. Y’a un crisse de minimum à faire un moment donné ! »

Et ce minimum, nous n’avons même pas commencé à l’envisager. Le miroir n’est pas encore assez proche.

cherejoblo@ledevoir.com

Noté que la magnifique série Climat d’urgence, 13 épisodes de 48 minutes, sera diffusée à compter du 23 avril à 19 h sur TV5 et disponible dès le 22 avril sur TV5Unis. Mention spéciale pour la caméra. Les derniers épisodes seront diffusés à l’automne. La série se veut carboneutre (un terme qui ne veut rien dire, selon l’ingénieur-militant français Jean-Marc Jancovici). https://bit.ly/3xMXS8g

Visité le site du programme Planetair (auquel souscrit la série Climat d’urgence), qui compense à 30 $ la tonne de C02 dans divers projets verts. Les compensations sont souvent qualifiées de « bonne conscience environnementale », mais celles-ci ne misent pas sur les plantations d’arbres qui capteront le carbone dans 30 ans.

Un voyage aller-retour Montréal-Paris équivaut à près de 2 tonnes de CO2, le maximum que nous devrions émettre en un an par personne (nous sommes plutôt à 10 tonnes et plus au Québec, selon nos revenus). Notre dissonance cognitive est appréciable.

Dans les faits, il y a une distinction à faire entre les voyages humanitaires, d’utilité sociale (le cas avec la série de TV5), d’opportunisme et d’affaires, de réunion de famille et de tourisme, sans oublier les jets privés, une catégorie à part. On peut imaginer qu’un jour, ces catégories seront taxées et limitées à leur juste mesure (Jancovici suggère quatre vols… dans une vie). https://bit.ly/4aTlSoy

Visionné deux fois le reportage « La psychologie derrière l’inaction climatique », réalisé par Carbone (Radio-Canada). La journaliste Marianne Desautels-Marissal nous explique en 15 minutes quels sont nos freins psychologiques au changement, le triangle de l’inaction, le biais d’optimisme, les dragons de l’inaction (comme le technosolutionnisme, qui fait 44 % d’adeptes au Québec), le déni climatique, qui est passé de 5 % à 14 % dans le monde, « la faute des autres » (alors que 50 % des GES sont produits par les 10 % de la population les plus riches, soit ceux qui gagnent 50 000 $ et plus par an), etc.

Très bien réalisé. https://bit.ly/3JnPcrF

Appris cette formule simple pour savoir par où l’on peut commencer individuellement pour un maximum d’impact : les 3 V, soit vols (avion), voiture et viande. En rappel : ce texte de Sarah Boumedda, du Pôle environnement du Devoir, indique que nous avons déjà dépassé le seuil de réchauffement de 1,5 °C tous les mois depuis juillet 2023. https://bit.ly/3UiT6bA

Pas facile de traiter de militantisme écolo et de surendettement lié à la surconsommation. La comédie Une année difficile, du tandem Éric Toledano et Olivier Nakache, réussit à nous arracher des sourires et à faire réfléchir entre manifs et engagement social. Les victimes du système finissent par épouser la même cause : l’amour. Ce n’est pas un film parfait, mais après une marche du Jour de la Terre, le dimanche 21 avril, ça fait du bien.

En salle. https://bit.ly/3xFMM50

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Une seule planète, la même urgence - Josée Blanchette
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Une seule planète, la même urgence

19 1
19.04.2024

Oubliez Netflix et la dernière série en noir et blanc (pour ou contre, on s’en sacre-tu ?). Le comédien et animateur Vincent Graton nous propose un récit tout-terrain en mode route de garnotte aux quatre coins du monde dans Climat d’urgence, une série documentaire qu’il vient de terminer pour TV5. Il qualifie ce projet du plus important de sa carrière et s’y est investi corps et âme durant un an, à la sueur de sa chemise, en mangeant de la poussière de chemin et en buvant des thés de l’amitié dans le désert.

Les effets des changements climatiques sont au coeur du projet, mais c’est l’humain et les populations en première ligne qui sont les vedettes de cette série bouleversante d’authenticité et d’urgence. Pas d’experts, pas de grandes théories, que du terrain, quelques figures de proue d’ONG locales et des images renversantes de ce que les gens vivent déjà un peu partout dans une crise sans précédent qui les fait basculer dans la survie, souvent du jour au lendemain.

« Y’a pas de Botox, pas de showbiz dans ça. Le nombre de fois où j’ai braillé pendant les tournages, c’était un running gag avec l’équipe », confie Vincent Graton, en essuyant une larme. Le père de famille de quatre enfants, dont le benjamin a 17 ans, aura le regard embué plusieurs fois durant notre rencontre.

C’est une version assagie du réputé bouillant comédien que je retrouve cette semaine dans un café de la Rive-Sud. « Je suis en mille miettes depuis mon retour, je ne sais plus par quel boutte prendre ça. J’en ai très peu parlé à ma famille ; c’est tellement dur comme sujet. Je suis vraiment fucké… » ajoute l’animateur, qui célébrera ses 65 ans dans un mois. Les 12 pays et États visités (le 13e tournage se fera au Québec en mai) l’ont chaviré, du Japon au Pérou, en passant par le Kenya ou par Israël.

Les trois premiers épisodes de Climat d’urgence (Bangladesh, Sénégal, Australie) m’ont ébranlée aussi. Pour souligner le Jour de la Terre, je m’apprêtais à vous parler de nos excuses toutes faites, celles qui nous maintiennent dans le statu quo et le triangle de l’inaction (industrie-consommateur-gouvernements, qui se renvoient la balle sans bouger), et finalement, l’émission de Graton nous tend un miroir cassé en mille miettes de nos atermoiements et lâchetés, sans morale ni leçons. Voilà le topo. L’image suffit à nous présenter l’état des lieux de façon implacable.

Nous sommes des ombres dans un nulle part absurde. C’est la guerre partout. La terre aura le dernier mot, il........

© Le Devoir


Get it on Google Play