À la faveur des Fêtes, l’équipe éditoriale poursuit sa réflexion sur les défis individuels et collectifs qui façonneront notre monde des prochaines années sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : la jeunesse et l’équité générationnelle.

Alors que le Québec se prépare à des retraites massives, la pression se fera forte sur la jeunesse pour prendre le relais, mais aussi pour rapidement prendre les rênes. La dernière fois qu’on aura vu autant de jeunes investir l’espace public au Québec, et avec autant d’aplomb espéré, ça aura donné la Révolution tranquille. Pas mal pour une petite bulle de France au nord d’un continent, comme l’a chanté Yves Duteil.

Le Québec a changé depuis. Mais l’éveil aux questions d’identité nationale et collective d’alors a pris de nouvelles formes dans cet univers mondialisé et dématérialisé. Évidemment, le milieu du travail pense d’abord les membres de cette relève en des termes intéressés : seront-ils assez nombreux, formés, inventifs, ou au contraire difficiles, rigides, désinvestis ? Le milieu politique, lui, voit les électeurs potentiels : saura-t-il les mobiliser ou tombera-t-il sous le coup de leur désamour ? Plusieurs craignent plus ou moins ouvertement la rupture.

Qu’ils se rassurent. Aucune « cassure générationnelle » n’a empêché la marche du monde dans le passé. Il n’en ira pas autrement avec les générations montantes. Reste que celles-ci font face à des défis colossaux. Les jeunes ont beau étudier (ils sont plus scolarisés que les cohortes précédentes), travailler (plus de la moitié des ados concilient travail et études), et épargner dans la mesure de leurs moyens, les pressions économiques actuelles sont si fortes qu’un grand nombre reporte des projets fondamentaux comme fonder une famille ou accéder à la propriété.

Certes, le Québec se prépare à un transfert de patrimoine important dans les prochaines années et certains en profiteront largement. Pas tous, tant s’en faut. Au point où on flirte aujourd’hui avec une « iniquité intergénérationnelle », de l’avis du numéro un du Mouvement Desjardins, qui s’est intéressé de près à cette relève. Dans ses interventions, Guy Cormier a insisté sur nos lacunes en matière d’éducation financière. À la maison, à l’école, mais aussi en ligne, où l’impulsivité est reine.

Des données publiées en 2022 par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec montrent que près d’un jeune de 21 ans sur deux (46,5 %) se considérait comme endetté ; la moitié de ceux-là se jugeant « moyennement », « très » ou même « extrêmement » endettés. Ça vous plombe un avenir, ça, surtout quand l’inflation part en vrille et que la crise de l’habitation s’installe dans la durée. Il y a une panoplie d’aides gouvernementales et financières à imaginer pour offrir du sur-mesure à cette relève sur laquelle repose notre avenir collectif.

Une autre clé réside dans la revalorisation du modèle de la coopérative d’habitation qui, en plus de favoriser l’accessibilité à un toit, contribue à briser l’isolement et favorise l’entraide. Ces deux deniers aspects ne sont pas anodins dans un monde fracturé par une dématérialisation galopante. Cet héritage, déjà en soi un défi, a été empoisonné par une pandémie qui aura laissé des cicatrices.

On s’est inquiétés à raison de la santé mentale en berne de nos ados et de nos jeunes adultes. Il faut dire que leur cercle familial et amical a beau rester un agent fondateur de leur éveil au monde, il n’a pas l’amplitude ni la solidité qu’ont connues les générations d’avant. Il faut retrouver le moyen d’ouvrir des dialogues avec eux, sésames essentiels pour augmenter leur bien-être et leur santé mentale positive.

En crise perpétuelle, l’école a perdu de son emprise sur leurs esprits en formation au profit d’algorithmes qui se révèlent comme de puissants agents de socialisation politique, avec tous les angles morts et les pièges que cela suppose. Il faut de toute urgence des états généraux sur l’éducation pour retrouver l’allant qui a porté la commission Parent.

Il faut également s’atteler à humaniser nos habitudes en ligne. Celles-ci changent de manière si rapide qu’elles rendent fragiles toutes nos connaissances. Notre langue et notre culture en pâtissent aussi. On a un rattrapage à faire et des filets de sécurité à resserrer. Tout cela ne pourra pas venir que des jeunes. Il y a quelque chose de lâche, et même de malhonnête, à renvoyer la suite du monde — et son sauvetage — sur leurs seules épaules.

À cheval sur tous les temps, la jeunesse a, il est vrai, le devoir d’entendre et de comprendre ceux qui la précèdent tout en ayant l’obligation de se faire entendre et de se faire comprendre d’eux. Il y a pourtant des luttes qui devraient transcender les générations, au premier chef celle qui les rassemble toutes, soit celle pour l’avenir de notre planète. Sur ce grand chantier, comme pour les autres, il y a une solidarité intergénérationnelle à bâtir.

Ah ! si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! Cultiver le goût de l’action et du risque, oui, mais aussi celui de la concertation et du rêve par le biais de mentorats et de pairages féconds. Voilà un programme qui nécessitera qu’on retrouve le chemin d’un art qu’on a négligé : celui de l’écoute et de l’empathie, pierres angulaires des sociétés en santé, riches de leur passé, de leur présent et de leur futur.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - Pour la suite du monde - Louise-Maude Rioux Soucy
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Pour la suite du monde

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05.01.2024

À la faveur des Fêtes, l’équipe éditoriale poursuit sa réflexion sur les défis individuels et collectifs qui façonneront notre monde des prochaines années sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : la jeunesse et l’équité générationnelle.

Alors que le Québec se prépare à des retraites massives, la pression se fera forte sur la jeunesse pour prendre le relais, mais aussi pour rapidement prendre les rênes. La dernière fois qu’on aura vu autant de jeunes investir l’espace public au Québec, et avec autant d’aplomb espéré, ça aura donné la Révolution tranquille. Pas mal pour une petite bulle de France au nord d’un continent, comme l’a chanté Yves Duteil.

Le Québec a changé depuis. Mais l’éveil aux questions d’identité nationale et collective d’alors a pris de nouvelles formes dans cet univers mondialisé et dématérialisé. Évidemment, le milieu du travail pense d’abord les membres de cette relève en des termes intéressés : seront-ils assez nombreux, formés, inventifs, ou au contraire difficiles, rigides, désinvestis ? Le milieu politique, lui, voit les électeurs potentiels : saura-t-il les mobiliser ou tombera-t-il sous le coup de leur désamour ? Plusieurs craignent plus ou moins ouvertement la rupture.

Qu’ils se rassurent. Aucune « cassure générationnelle » n’a empêché la marche du monde dans le passé. Il n’en ira pas autrement avec les générations........

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