Le rejet de l’entente de principe par 61 % des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) témoigne du ras-le-bol d’un groupe de travailleuses à qui on a fait la vie dure au fil du temps, mais aussi d’une spectaculaire méfiance à l’endroit du gouvernement, qui mène à quelques excès. Alors qu’il faut préserver le souhait de flexibilité de Québec mais aussi tenir compte de la qualité des conditions de travail de ces héroïnes de la santé, les voies de passage pour un éventuel règlement ne sautent pas aux yeux.

Cela fait maintenant 16 mois que la négociation dure avec ce groupe d’employées du secteur public sur lequel repose une grande partie du bon fonctionnement d’un réseau de santé mis à mal. Il n’est pas exagéré de dire que le succès du plan de refonte du réseau de la santé auquel s’affaire le ministre de la Santé, Christian Dubé, repose grandement sur une issue positive dans les pourparlers avec la FIQ.

Jusqu’à maintenant, autant la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a été ferme et constante dans sa volonté de détenir les clés de la souplesse, autant les professionnelles ont tenu la ligne dure : pour améliorer les conditions de soins des patients, il faudra améliorer leurs conditions de travail. Le 21 mars dernier, les déléguées de la FIQ ont entériné une proposition d’entente de principe. Elle fut présentée aux membres par vote référendaire les 10, 11 et 12 avril. Avec un taux de participation qui en dit long sur leur fureur et leur engagement (77 %), les infirmières ont répondu que ce n’était pas assez.

Outre des augmentations salariales de 17,4 % sur cinq ans, l’entente portait sur les heures supplémentaires obligatoires, le fameux TSO (temps supplémentaire obligatoire) — désormais « exigé que dans les situations d’urgence et exceptionnelles qui se présentent » —, et sur la flexibilité accrue, en permettant la création de « centres d’activités » sur plus d’une installation, et donc le déplacement potentiel des employées. Il semble que ces deux points causent encore de l’insatisfaction.

Vendredi, la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, se disait « déçue » par le rejet massif de l’entente. Lundi, au micro de Tout un matin, à Radio-Canada, elle précisait n’être pas déçue des membres mais d’elle-même. Mme Bouchard se reproche d’avoir vu des gains à la table de négociation là où les membres ont perçu des concessions insuffisantes. Entre autres choses, la mobilité des infirmières semble avoir choqué plutôt que rassuré. Les deux parties pourront-elles avancer sur ce point en dépit d’une importante rupture du lien de confiance ? Le concept flirte d’assez près avec ce qui semble être de la méfiance excessive.

La proposition portant sur la mobilité précise en effet que l’employeur, dans la mesure du possible, va protéger le port d’attache des employées, en plus de donner la marche à suivre advenant un changement de lieu d’emploi. De même, pour les heures supplémentaires, on indique que « l’employeur prend les moyens pour éviter de faire appel au temps supplémentaire obligatoire ».

Aux dires de la présidente de la FIQ, ces prétentions de l’employeur sont reçues avec un scepticisme qui avoisine l’incrédulité pure. « Cette méfiance-là est omniprésente dans le discours de nos membres », a affirmé lundi Mme Bouchard, en entrevue avec l’animateur Patrick Masbourian. Échaudées par des pans de convention et des écrits que les employeurs ne respecteraient pas, les infirmières ne croient plus en la bonne volonté. D’où cette déclaration choc : « On sait pertinemment que nos employeurs vont abuser. » À l’entendre, sitôt que l’occasion se présentera, des gestionnaires de santé aux allures de despotes malveillants forceront les infirmières à avaler des kilomètres entre deux destinations.

Il est difficile de négocier de bonne foi lorsque l’une des parties est condamnée d’avance. Quelle voie de passage demeurera-t-il si toute avancée proposée par l’employeur est mise en échec au nom d’un futur et hypothétique « abus » ? Sur fond de rupture du lien de confiance, la négociation chemine de manière tortueuse, comme ce rejet d’une entente négociée le démontre. Mais s’il en est ainsi, avancera-t-on, c’est que les infirmières ont trop souvent payé le prix du compromis acceptable, de la concession additionnelle, de la demande de dernière minute. C’est tout à fait vrai.

Soyons francs : n’est-il pas indigne que ce soit cette profession à forte majorité féminine qui soit passée sous le rouleau compresseur du TSO ? Mais pour protester contre cette mesure dans les cas où il le fallait, il y avait des procédures de grief qui ont été respectées. L’entente prévoit d’ailleurs de régler les quelque 30 000 griefs individuels et collectifs déposés dans le dossier des heures supplémentaires obligatoires.

Les déléguées de la FIQ veulent sonder à nouveau leurs membres pour connaître les points de dissension et être ensuite de meilleures ambassadrices aux tables. On ne pourra pas insuffler par magie de la confiance aux parties qui en manquent, bien que cela semble être exactement l’ingrédient qui manque pour trouver un terrain d’entente qui améliorera les conditions de travail et donnera plus de souplesse aux gestionnaires qui en auront besoin.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - Bris de confiance entre les infirmières de la FIQ et Québec - Marie-Andrée Chouinard
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Bris de confiance entre les infirmières de la FIQ et Québec

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15.04.2024

Le rejet de l’entente de principe par 61 % des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) témoigne du ras-le-bol d’un groupe de travailleuses à qui on a fait la vie dure au fil du temps, mais aussi d’une spectaculaire méfiance à l’endroit du gouvernement, qui mène à quelques excès. Alors qu’il faut préserver le souhait de flexibilité de Québec mais aussi tenir compte de la qualité des conditions de travail de ces héroïnes de la santé, les voies de passage pour un éventuel règlement ne sautent pas aux yeux.

Cela fait maintenant 16 mois que la négociation dure avec ce groupe d’employées du secteur public sur lequel repose une grande partie du bon fonctionnement d’un réseau de santé mis à mal. Il n’est pas exagéré de dire que le succès du plan de refonte du réseau de la santé auquel s’affaire le ministre de la Santé, Christian Dubé, repose grandement sur une issue positive dans les pourparlers avec la FIQ.

Jusqu’à maintenant, autant la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a été ferme et constante dans sa volonté de détenir les clés de la souplesse, autant les professionnelles ont tenu la ligne dure : pour améliorer les conditions de soins des patients, il faudra améliorer leurs conditions de travail. Le 21 mars dernier, les déléguées de la FIQ ont entériné une proposition d’entente de........

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