Avenue Duluth, à Montréal, dans un bar qui porte le nom d’une femme et d’une chanson de Leonard Cohen. Claudia Larochelle et moi patientons avant l’arrivée des représentants du Festival du livre de Paris et des journalistes français qui viennent d’atterrir à Montréal. Québec édition nous a proposé de prendre l’apéro en leur compagnie, une entrée en matière se voulant « décontractée et chaleureuse ». Quarante-deux auteurs et autrices québécois iront à Paris dans les prochaines semaines pour une édition du festival qui met le Québec à l’honneur. Le voyage de presse a pour but de permettre aux journalistes d’apprivoiser dès maintenant notre petite planète littéraire, et de mieux connaître celles et ceux qui la font. Alain Farah, Claudia et moi formons en quelque sorte le comité d’accueil. Nous sommes les cheerleaders de la littérature québécoise.

— Farah est en retard.

— Il est mieux de ne pas nous « choker » !

— Qu’est-ce qu’on va leur raconter, aux journalistes français ?

À leur arrivée, on est un peu intimidés et raides sur nos chaises, mais le vin aidant, les langues se délient et la conversation s’anime. Les journalistes viennent d’horizons variés : Libération, Le Figaro littéraire, France Culture, France Inter, L’Express, etc. C’est particulier de devoir donner une vue d’ensemble de notre littérature — sujet vaste —, les pistes possibles sont multiples. On bifurque assez vite vers les questions d’écriture inclusive, de rédaction épicène, et je sens qu’on a une petite avance sur eux dans ce dossier, j’entends peut-être même quelques dents grincer.

Les journalistes sont victimes du décalage horaire ; il y en a une qui dort presque debout, mais pas Pauline Gabinari (Livres Hebdo, Harper’s Bazaar France, L’éclaireur Fnac). Jeune pigiste, petite bette sympa, coupe au carré, une étincelle dans le regard. Elle prend des notes dans un cahier, semble déjà en train de mijoter son prochain papier.

Deux jours plus tard, on se retrouve, Pauline et moi, encore pour l’apéro, mais à deux, cette fois, et dans un bistro du quartier Rosemont. J’ai voulu la faire sortir du centre, l’entraîner en périphérie dans un quartier où vivent de nombreux écrivains. Si on a le temps, je l’emmènerai déambuler dans les ruelles.

— Aujourd’hui, on a rencontré les gens des éditions La Pastèque, de Mémoire d’encrier et du Quartanier. Il y avait l’auteur qui ressemble à un musicien et qui a écrit un roman qui se passe dans un restaurant.

— Stéphane Larue ? Le plongeur.

— C’est ça ! Demain, on part en bus à six heures du mat’ pour aller à Québec. On va visiter la Maison de la littérature.

— Avez-vous au moins eu le temps de mordre dans un bagel ?

— Non, c’est réglé au quart de tour. Aucun temps mort !

— Je vois ça ! Tu voulais parler de littérature québécoise. Un angle en particulier ?

— Je prépare un texte intitulé « Pourquoi c’est cool de lire de la littérature québécoise en cinq points ».

S’il y a quelque chose que je trouve beau, depuis quelques années, c’est l’accueil que l’on réserve aux écrivains émergents. À la publication de mon premier roman, en 2002, l’ouverture aux primo-romanciers et l’intérêt pour les histoires qu’ils ont à raconter n’étaient pas ceux rencontrés aujourd’hui. C’était ardu de s’imposer dans la mêlée et de retenir l’attention d’un éditeur quand on était un petit newbie. Je constate que les voix qui ont émergé ces dernières années se font non seulement entendre, mais s’imposent et suscitent un engouement extraordinaire — il me semble que c’est un signe de santé. Je pense aux trajectoires d’Éric Chacour, d’Emmanuelle Pierrot, de Kevin Lambert, qui connaissent un succès critique et commercial.

Je trouve l’ouverture dont font preuve les lecteurs envers elle et eux généreuse et bienveillante. Il faut dire aussi qu’une nouvelle génération d’éditrices et d’éditeurs a pris sa place, fondé de nouvelles maisons ou pris le relais des équipes éditoriales qui lui ont passé le flambeau.

— Je remarque aussi, observe Pauline, l’ouverture des lecteurs québécois envers les écrivains des Premières Nations.

— Oui, note ça absolument pour ton article. Michel Jean connaît un succès retentissant avec Kukum, un roman indélogeable du palmarès des ventes en librairie depuis quelques années maintenant et que les enseignants font lire aux élèves du secondaire. Mémoire d’encrier fait un travail considérable dans ce domaine. Grâce aux antennes de Rodney Saint-Éloi, nous lisons la poésie de Joséphine Bacon, ses mots ciselés qui nous élèvent collectivement et nous ont permis de développer un contact plus incarné avec le territoire. Sans oublier ses héritières, Natasha Kanapé Fontaine, Naomi Fontaine, et je pourrais t’en nommer plein d’autres. La réconciliation avec les premiers peuples dont il est question dans la sphère politique, souvent maladroitement, c’est dans la littérature qu’elle a lieu.

Ces dernières années, de très beaux récits d’immigration et de ses séquelles nous ont éblouis et permis d’avancer : Là où je me terre, de Caroline Dawson, roman majeur et marquant, Hotline, de Dimitri Nasrallah, et plus récemment Une convergence de solitudes, d’Anita Anand.

La littérature québécoise est cool parce qu’elle permet aux lecteurs de s’ouvrir à l’autre, d’écouter sa voix et de le comprendre. Elle colmate les brèches, répare les bobos. Elle nous permet de mieux nous connaître et, ce faisant, nous rassemble, car nous sommes humains.

Je le sens, Pauline va devenir elle aussi une cheerleader de la littérature québécoise.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La petite séduction - Marie Hélène Poitras
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

La petite séduction

19 0
26.03.2024

Avenue Duluth, à Montréal, dans un bar qui porte le nom d’une femme et d’une chanson de Leonard Cohen. Claudia Larochelle et moi patientons avant l’arrivée des représentants du Festival du livre de Paris et des journalistes français qui viennent d’atterrir à Montréal. Québec édition nous a proposé de prendre l’apéro en leur compagnie, une entrée en matière se voulant « décontractée et chaleureuse ». Quarante-deux auteurs et autrices québécois iront à Paris dans les prochaines semaines pour une édition du festival qui met le Québec à l’honneur. Le voyage de presse a pour but de permettre aux journalistes d’apprivoiser dès maintenant notre petite planète littéraire, et de mieux connaître celles et ceux qui la font. Alain Farah, Claudia et moi formons en quelque sorte le comité d’accueil. Nous sommes les cheerleaders de la littérature québécoise.

— Farah est en retard.

— Il est mieux de ne pas nous « choker » !

— Qu’est-ce qu’on va leur raconter, aux journalistes français ?

À leur arrivée, on est un peu intimidés et raides sur nos chaises, mais le vin aidant, les langues se délient et la conversation s’anime. Les journalistes viennent d’horizons variés : Libération, Le Figaro littéraire, France Culture, France Inter, L’Express, etc. C’est particulier de devoir donner une vue d’ensemble de notre littérature — sujet vaste —, les pistes possibles sont multiples. On bifurque assez vite vers les questions........

© Le Devoir


Get it on Google Play