Au chapitre des réserves exprimées en prélude de la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère, certaines, comme celles des diasporas trop longtemps ciblées par le régime autoritaire de leur terre d’attache tout en étant ignorées de leurs nouveaux gouvernements, ont davantage de portée. La contribution de ces citoyens, aux premières loges de ces sournoises manoeuvres d’influence, est indispensable aux travaux de la juge Marie-Josée Hogue. Le discours d’apaisement de la magistrate était ainsi primordial. Il reste à souhaiter qu’il ait permis de les rassurer.

Car les groupes de défense de ces minorités, dont plusieurs déplorent avoir été intimidées à répétition par le régime communiste de la Chine, s’inquiètent de voir prendre part à la commission trois politiciens soupçonnés d’être trop proches de Pékin par les services de renseignement canadiens. Dès les premières minutes de son discours d’ouverture, lundi, la juge Marie-Josée Hogue a pris soin de reconnaître la vulnérabilité des membres des diasporas chinoise, ouïghoure et hongkongaise. Et de réitérer que, dans certains cas, il pourrait être nécessaire de protéger l’identité de certains témoins ou d’anonymiser une part des informations qu’ils souhaiteraient transmettre à la commission. « Je n’hésiterai pas à le faire lorsque je l’estimerai approprié », a tenu à assurer avec bienveillance la magistrate.

Les inquiétudes de ces communautés découlent d’une réalité maintes fois dénoncée, mais jusqu’ici trop souvent négligée par les autorités. Au-delà des troublantes révélations d’ingérence électorale à répétition, d’espionnage universitaire et de vol de propriété intellectuelle industrielle, cette influence étrangère s’exerce aussi sous forme de « contrôle » outre-mer des minorités contestataires.

Des dissidents dont les pneus ont été crevés, le visa d’étudiant bloqué, la demande de passeport refusée ou les occasions d’affaires court-circuitées. Des militants qui disent avoir été harcelés. Ou dont la famille, restée en Asie, est menacée de représailles par des agents de Pékin qui somment ces ressortissants de cesser leur « activisme », dans les rues ou dans les médias, et de rentrer dans le rang même en sol canadien.

La campagne d’intimidation orchestrée par un ancien diplomate chinois contre le député conservateur Michael Chong, dont une partie de la famille réside encore à Hong Kong, a été amplement médiatisée. Mais plusieurs dissidents anonymes vivent dans la même terreur. Et craignent aujourd’hui de payer les frais de leur participation à cette commission d’enquête.

L’exercice était voué à devoir composer avec les défis de sa complexité : étudier et évaluer une ingérence clandestine de même que l’efficacité des procédés secrets visant à la contrer. Hormis probablement tout au plus cinq semaines d’audiences publiques, une bonne part des travaux d’analyse se tiendront derrière des portes closes ou à huis clos. Environ 80 % des documents qu’épluchera la commission sont en outre classifiés, et 80 % de ceux-ci sont classés très secrets ou encore plus protégés par la confidentialité de la sécurité nationale.

Toute cette enquête repose maintenant entièrement, qu’on le veuille ou non, sur l’indispensable confiance qu’elle devra se voir confier. Notamment par ces diasporas qui sont parmi les premières concernées.

La juge a prévenu que, tout en offrant l’anonymat à ceux qui le requerront de façon justifiée, elle s’affairerait à protéger les droits d’autres participants, notamment leur droit à ce que soit préservée leur réputation. Des témoignages pourraient ainsi être recadrés, des éléments d’information ignorés. Les prochaines semaines révéleront si les membres des communautés parviennent bel et bien à avoir foi en ce délicat équilibre dans lequel s’aventure la commissaire.

Les conservateurs de Pierre Poilievre, eux, s’entêtent à bouder la commission d’enquête qu’ils ont réclamée des mois durant. Frustrée de ne s’être vu accorder le plein statut de « partie » que pour la seconde phase de la commission, la formation conservatrice a annoncé qu’elle ne suivrait que par vidéo, et non en personne, les délibérations… Un entêtement puéril, qui n’augure rien de bon pour cette enquête publique sur laquelle repose tout autant la confiance déjà érodée de la société canadienne à l’égard de ses institutions et de ses élections.

En invitant la juge Hogue à élargir la portée de son enquête à l’Iran — accusé par les autorités américaines d’avoir comploté un assassinat avec des membres canadiens des Hells Angels —, le Parti conservateur a finalement apporté mardi une trop rare contribution au sort de la souveraineté démocratique canadienne. Il serait grand temps que son chef, Pierre Poilievre, s’en inspire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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La commission Hogue exigera un nécessaire acte de foi

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31.01.2024

Au chapitre des réserves exprimées en prélude de la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère, certaines, comme celles des diasporas trop longtemps ciblées par le régime autoritaire de leur terre d’attache tout en étant ignorées de leurs nouveaux gouvernements, ont davantage de portée. La contribution de ces citoyens, aux premières loges de ces sournoises manoeuvres d’influence, est indispensable aux travaux de la juge Marie-Josée Hogue. Le discours d’apaisement de la magistrate était ainsi primordial. Il reste à souhaiter qu’il ait permis de les rassurer.

Car les groupes de défense de ces minorités, dont plusieurs déplorent avoir été intimidées à répétition par le régime communiste de la Chine, s’inquiètent de voir prendre part à la commission trois politiciens soupçonnés d’être trop proches de Pékin par les services de renseignement canadiens. Dès les premières minutes de son discours d’ouverture, lundi, la juge Marie-Josée Hogue a pris soin de reconnaître la vulnérabilité des membres des diasporas chinoise, ouïghoure et hongkongaise. Et de réitérer que, dans certains cas, il pourrait être nécessaire de protéger l’identité de certains témoins ou d’anonymiser une part des informations qu’ils souhaiteraient transmettre à la commission.........

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