Le premier ministre Justin Trudeau devait enfin se faire rassurant, démontrer qu’il a eu à l’oeil les stratagèmes d’ingérence étrangère au cours des deux dernières élections et qu’il a pris soin d’en protéger le système démocratique canadien. Ses explications tant attendues, devant la commission Hogue, n’ont cependant pas permis de dissiper les soupçons d’indolence qui pèsent sur son gouvernement. Car au fil de son témoignage, M. Trudeau s’est tranquillement déresponsabilisé, faisant porter la faute aux services de renseignement, auxquels il a dit du même souffle se fier entièrement.

Au terme de deux semaines d’audiences publiques, l’exercice de la juge Marie-Josée Hogue aura fait mentir le défaitiste rapporteur spécial David Johnston, qui avait prétendu qu’une enquête publique serait inutile. Soit, plusieurs questions sont demeurées sans réponses dans la sphère publique, sont restées classifiées. Mais les témoignages, les entrevues menées à huis clos, les douzaines de documents déposés ont permis d’exposer les failles de la transmission de renseignements secrets en matière d’ingérence étrangère. De même que les limites des poignées existantes pour y répliquer. Et la juge Hogue, pour sa part, semble bien moins disposée que son prédécesseur à les accepter.

Justin Trudeau a ainsi fait valoir, mercredi, qu’il préférait les séances de breffage verbal à la lecture de liasses de documents qu’il n’a pas le temps de parcourir. Sa cheffe de cabinet, Katie Telford, prétendait au contraire qu’il lisait tout, l’an dernier. Le premier ministre s’en remet aux agences de renseignement afin qu’elles lui signalent les informations les plus pressantes et qu’elles en alertent sa conseillère à la sécurité nationale et au renseignement. S’il lui manque certains éléments, la responsabilité revient donc aux services secrets.

Les nombreux mémos, envoyés à la commission après avoir fait l’objet de fuites dans les médias, ne traduisent pas la teneur de ces conversations de vive voix. Une explication qui permet au premier ministre de les désavouer et de se dédouaner de sa non-action en soutenant ne pas en avoir eu connaissance. M. Trudeau ne savait donc rien d’une conversation qu’aurait eue son ancien député Han Dong (devenu indépendant) avec le consul général de Chine à Toronto au sujet de l’emprisonnement de Michael Kovrig et Michael Spavor. Pas plus qu’il n’aurait été averti de deux possibles transferts de 250 000 $ versés par Pékin afin de favoriser l’élection de 11 candidats jugés sympathiques à la Chine.

Quant aux renseignements qui lui sont bel et bien communiqués, le premier ministre a expliqué les accueillir avec un brin de « pensée critique », car ces informations colligées dans le plus grand secret ne sont pas toujours mises en contexte ni corroborées, ce qui fait que leur nature évolue bien souvent. Et leur commandite par un État étranger ne peut pas toujours être démontrée. C’est ainsi que M. Dong est demeuré candidat libéral malgré des soupçons, en pleine campagne électorale, d’ingérence chinoise ayant aidé son investiture.

Justin Trudeau a raison : il n’y a pas de garanties de la véracité de soupçons. Or, voilà le noeud de l’ingérence étrangère, auquel son gouvernement doit trouver une meilleure réponse.

Les audiences et sa comparution auront en outre révélé une circulation de l’information pour le moins lacunaire. Du bout des lèvres, M. Trudeau a reconnu qu’il y avait « toujours des améliorations à faire », sans toutefois paraître très pressé de procéder.

Idem en ce qui a trait à la communication de soupçons d’ingérence, que ce soit auprès de la population, des partis politiques ou des candidats ciblés, qui n’a été jugée opportune ni en 2019 ni en 2021. Le premier ministre insiste pour dire que le seuil de dévoilement de telles tentatives se doit de demeurer très élevé, car leur simple divulgation influerait sur le processus électoral et minerait de ce fait la confiance de la population. Cette confiance a cependant précisément été ébranlée faute d’une plus grande transparence, l’électorat s’étant senti floué au fil des révélations.

Le bouquet de correctifs à apporter a maintes fois été détaillé, dans nos pages, par des experts ; il l’est désormais par un comité parlementaire, dont un nouveau rapport formule 29 recommandations, pour la plupart dans les cartons du gouvernement libéral depuis plus d’un an : l’implantation de réformes législatives permettant un meilleur échange du renseignement avec les instances politiques, électorales et policières ainsi que la création d’un registre d’agents étrangers.

La commissaire Hogue tirera probablement les mêmes conclusions dans son rapport final, attendu en décembre. Rien ne justifierait toutefois que le gouvernement tarde à agir encore aussi longtemps — lui qui n’a toujours pas mis en oeuvre, 12 mois plus tard, les recommandations de la commission Rouleau liées à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. L’ingérence perpétrée par la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan et l’Iran n’a rien d’aussi rarissime que le recours à cette loi d’exception. L’inertie de la réplique ne peut être identique.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

QOSHE - La trop facile faute au messager - Marie Vastel
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La trop facile faute au messager

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12.04.2024

Le premier ministre Justin Trudeau devait enfin se faire rassurant, démontrer qu’il a eu à l’oeil les stratagèmes d’ingérence étrangère au cours des deux dernières élections et qu’il a pris soin d’en protéger le système démocratique canadien. Ses explications tant attendues, devant la commission Hogue, n’ont cependant pas permis de dissiper les soupçons d’indolence qui pèsent sur son gouvernement. Car au fil de son témoignage, M. Trudeau s’est tranquillement déresponsabilisé, faisant porter la faute aux services de renseignement, auxquels il a dit du même souffle se fier entièrement.

Au terme de deux semaines d’audiences publiques, l’exercice de la juge Marie-Josée Hogue aura fait mentir le défaitiste rapporteur spécial David Johnston, qui avait prétendu qu’une enquête publique serait inutile. Soit, plusieurs questions sont demeurées sans réponses dans la sphère publique, sont restées classifiées. Mais les témoignages, les entrevues menées à huis clos, les douzaines de documents déposés ont permis d’exposer les failles de la transmission de renseignements secrets en matière d’ingérence étrangère. De même que les limites des poignées existantes pour y répliquer. Et la juge Hogue, pour sa part, semble bien moins disposée que son prédécesseur à les accepter.

Justin Trudeau a ainsi fait valoir, mercredi,........

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