En 2003, lors du lancement du livre de Mélanie Chabot L’éducation des adultes au Québec (1930-1980), j’étais assise à côté de Claude Ryan. On nous avait demandé de parler de la situation de l’éducation des adultes au Québec à l’aube d’une nouvelle politique. Alors, à entendre sa voix grave défiler des idées dont l’ordonnancement logique était irréprochable, une foule de souvenirs me sont remontés sur mon travail à la Commission d’étude sur la formation des adultes (1980-1982). À la fin de nos présentations, il m’a demandé de lui faire parvenir mon texte. Ce que j’ai fait et il a fait de même.

Je me suis retrouvée une autre fois sur la même tribune que lui et j’ai été encore impressionnée par la qualité, la logique et la profondeur de ses propos et aussi par son début assez austère et monocorde, mais qui se laissait bien écouter à cause de la qualité des propos tenus. Deux ans plus tard, pour préparer ma contribution au colloque Rupture et continuité de la société québécoise. Trajectoire de Claude Ryan et éclairer correctement la genèse et l’évolution de sa pensée sur l’éducation des adultes, je suis retournée dans sa vie et ses écrits. Je tire ici quelques extraits de cette recherche intitulée : Claude Ryan et l’éducation des adultes : une pensée parquée au sceau de la continuité.

Rappelons que Claude Ryan a grandi dans les ruelles de Ville-Émard. Un de ses biographes, Aurélien Leclerc, a écrit : « Claude a été élevé à se battre dans la rue, mais à penser comme un prince. » De 1944 à 1946, soit de 19 à 21 ans, il suit les cours de service social à l’Université de Montréal, mais il délaisse ses études parce que, selon ses propres mots : « Cela n’était pas assez sérieux et je n’en avais pas vraiment besoin. » À 20 ans, il devient secrétaire national de la section de langue française de l’Action catholique canadienne. C’est donc dans son enfance puis dans l’action et la réflexion sur l’action que se sont forgées ses idées sur l’éducation des adultes.

Très jeune, il avait compris l’importance d’avoir une conception large de l’éducation des adultes et il opposera toujours éducation et formation qualifiante en défendant sans cesse l’idée que l’éducation des adultes doit former un citoyen, non seulement capable de gagner sa vie, mais aussi capable de s’engager, et de comprendre les enjeux sociaux et économiques de son époque. La méthode de travail de l’Action catholique, basée sur le « voir, juger, agir », sera pour lui une méthode de fonctionnement durant toute sa vie.

En 1957, il publie dans Le Devoir « Éducation des adultes au Canada de langue française ». Il y mentionne la dispersion des efforts, l’émiettement des énergies, les dédoublements et les objectifs contradictoires. Certains diront : « Plus ça change, plus c’est pareil. »

De 1955 à 1961, il est président de l’Institut canadien d’éducation des adultes. Et en 1961, la commission Parent est entrée en piste. Dans une entrevue, il mentionne : « On connaissait tous les membres de cette commission-là, on s’était tous connus à travers différentes activités. Puis, à un moment donné, on a fait comprendre, à la fois à Paul Gérin-Lajoie et aux membres de la commission Parent, qu’ils étaient en train de passer à côté de l’éducation des adultes. Alors ils m’ont confié le mandat de préparer un rapport spécial sur l’éducation des adultes pour la commission Parent. » Grâce à son rapport, les auteurs du Rapport Parent, reprenant une idée déjà exprimée par Claude Ryan, écrivent : « le gouvernement n’a pas, jusqu’à présent, coordonné son action et défini ses politiques de participation directe et indirecte au mouvement d’éducation des adultes ».

S’appuyant sur son rapport, la Commission formulera ses recommandations et en 1966, au nouveau ministère de l’Éducation sera créée la Direction générale de l’éducation permanente qui deviendra en 1974 la Direction générale de l’éducation des adultes.

La pensée de Claude Ryan sur l’éducation des adultes n’a pas varié tout au long de sa vie. Il la voulait formatrice du citoyen dans toutes ses dimensions et, pour ce faire, il la voulait dotée d’un encadrement et d’une pédagogie adaptés aux adultes, ouverte sur tous les milieux et passant par tous les canaux de diffusion possibles. Il la voulait différente de la scolarisation des jeunes et ayant sa propre spécificité.

Alors que nous sortons d’une grève durant laquelle nous avons peu entendu parler de l’éducation des adultes, qui fait encore face à de nombreux problèmes, comme l’a d’ailleurs souligné Mélanie Hébert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, on peut se demander quel sera son avenir. Quelle sera la place qu’elle occupera dans toutes les études qui seront poursuivies sur notre système d’éducation ?

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QOSHE - La grande contribution de Claude Ryan à l’éducation des adultes - Michèle Stanton-Jean
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La grande contribution de Claude Ryan à l’éducation des adultes

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12.02.2024

En 2003, lors du lancement du livre de Mélanie Chabot L’éducation des adultes au Québec (1930-1980), j’étais assise à côté de Claude Ryan. On nous avait demandé de parler de la situation de l’éducation des adultes au Québec à l’aube d’une nouvelle politique. Alors, à entendre sa voix grave défiler des idées dont l’ordonnancement logique était irréprochable, une foule de souvenirs me sont remontés sur mon travail à la Commission d’étude sur la formation des adultes (1980-1982). À la fin de nos présentations, il m’a demandé de lui faire parvenir mon texte. Ce que j’ai fait et il a fait de même.

Je me suis retrouvée une autre fois sur la même tribune que lui et j’ai été encore impressionnée par la qualité, la logique et la profondeur de ses propos et aussi par son début assez austère et monocorde, mais qui se laissait bien écouter à cause de la qualité des propos tenus. Deux ans plus tard, pour préparer ma contribution au colloque Rupture et continuité de la société québécoise. Trajectoire de Claude Ryan et éclairer correctement la genèse et l’évolution de sa pensée sur l’éducation des adultes, je suis retournée dans sa vie et ses écrits. Je tire ici quelques extraits de cette recherche intitulée : Claude Ryan et l’éducation des adultes : une pensée parquée au........

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