La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. C’est vrai aussi en politique. Plutôt que de répliquer immédiatement, il vaut souvent mieux attendre l’occasion de placer un coup qui fera plus mal.

En février dernier, quand le premier ministre Legault avait demandé à brûle-pourpoint à Paul St-Pierre Plamondon : « À quoi ça sert, le Bloc ? », Yves-François Blanchet n’avait pas voulu en faire une histoire, se voulant même compréhensif. « Je sais ce que c’est en période de questions lorsque tu t’enflammes », avait-il simplement dit.

M. Blanchet est lui-même sujet à ces flambées parlementaires, mais que M. Legault reprenne à son compte la pointe que les partis fédéralistes lancent régulièrement au Bloc québécois à la Chambre des communes, où il s’emploie à véhiculer les demandes du gouvernement caquiste, même quand il les juge bien timides, était certainement de nature à l’irriter.

L’occasion de lui remettre la monnaie de sa pièce s’est présentée cette semaine, quand il a été invité à commenter les propos de Justin Trudeau, selon lequel les citoyens, qu’ils soient Canadiens ou Québécois, « s’en foutent » des chicanes entre Ottawa et les provinces, quand ils ont du mal à trouver un logement abordable ou à payer leur épicerie.

Le chef du Bloc lui a donné raison, ajoutant toutefois que c’est « l’impopularité actuelle du gouvernement du Québec » qui laisse le champ libre aux intrusions fédérales. Selon lui, « quand il [François Legault] caracolait avec des 60 % de satisfaction, jamais M. Trudeau n’aurait osé faire ça ». Il s’est retenu de tourner le fer dans la plaie en demandant : « À quoi ça sert, la CAQ ? », mais c’était tout comme.

Au bout du compte, les compétences du Québec ne sont pas vraiment mieux protégées que lorsque les libéraux étaient au pouvoir. Ceux-ci protestaient peut-être moins, mais le résultat est identique. Aucun gouvernement n’a le luxe de lever le nez sur les milliards d’Ottawa. Elle est loin, l’époque où Duplessis interdisait aux universités d’accepter les subventions fédérales au nom de « l’autonomie provinciale ».

La question de savoir lequel des deux premiers ministres se trouve présentement dans la situation la plus précaire pourrait sûrement faire l’objet d’un intéressant débat. M. Legault dispose d’un peu plus de temps, mais le précipice dans lequel la CAQ risque de basculer est encore plus profond.

Quoi qu’en dise M. Blanchet, il faut toutefois reconnaître que le « mandat fort » réclamé et obtenu par M. Legault en 2022 n’a jamais semblé impressionner beaucoup M. Trudeau, même s’il n’avait jamais affiché de façon aussi ostentatoire son peu de respect pour le partage des pouvoirs prévu par la Constitution.

Pour une fois qu’il dit franchement ce qu’il pense, on serait mal venu de lui en faire le reproche. Trop souvent, ses phrases creuses amènent ses auditeurs à se demander s’il s’agit d’une esquive pas très subtile ou si elles reflètent plutôt sa désolante vacuité intellectuelle.

Pierre Elliott Trudeau a déjà comparé les provinces à des « districts », simples entités administratives dont la fonction était de mettre en oeuvre les orientations définies par le seul vrai gouvernement, qui était à Ottawa. C’est aussi ce que semble penser son fils.

Vu le retard de son parti sur les conservateurs, on peut comprendre que M. Trudeau ait décidé qu’il n’avait plus rien à perdre, mais le mépris paternel pour la piétaille provinciale mangeuse de hot dogs transparaissait dans la façon sarcastique avec laquelle il a invité les provinces à s’ingérer dans les champs de compétence fédérale, par exemple en participant au financement des dépenses militaires.

Plusieurs se demandent si M. Legault sera toujours à la tête de ses troupes en octobre 2026, mais il a de fortes chances d’être là lors de la prochaine élection fédérale. Au train où vont les choses, la liste d’épicerie adressée aux partis fédéraux pourrait être encore plus longue que les précédentes.

Pour qui va-t-il recommander aux Québécois de voter ? La dernière fois, quand il a laissé entendre que le Parti conservateur constituait le meilleur choix, ou le moins mauvais, son ingérence a eu moins de succès que celle de la Chine.

Il est vrai que les chances de Pierre Poilievre semblent infiniment meilleures que celles d’Erin O’Toole en 2021, mais le chef conservateur est aussi vague sur les concessions qu’il serait disposé à faire au Québec que sur tout le reste.

Objectivement, le Bloc demeure le meilleur allié de la CAQ à Ottawa, mais M. Legault a décrété qu’il ne servait à rien. M. Blanchet serait sûrement disposé à oublier cette malheureuse phrase si le premier ministre choisissait d’en dire un peu de bien, mais chaque député bloquiste qu’il pourrait contribuer à faire élire se retrouvera aux côtés du candidat péquiste l’année suivante. Finalement, le mieux serait de se taire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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À quoi ça sert, la CAQ?

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06.04.2024

La vengeance est un plat qui se mange froid, dit-on. C’est vrai aussi en politique. Plutôt que de répliquer immédiatement, il vaut souvent mieux attendre l’occasion de placer un coup qui fera plus mal.

En février dernier, quand le premier ministre Legault avait demandé à brûle-pourpoint à Paul St-Pierre Plamondon : « À quoi ça sert, le Bloc ? », Yves-François Blanchet n’avait pas voulu en faire une histoire, se voulant même compréhensif. « Je sais ce que c’est en période de questions lorsque tu t’enflammes », avait-il simplement dit.

M. Blanchet est lui-même sujet à ces flambées parlementaires, mais que M. Legault reprenne à son compte la pointe que les partis fédéralistes lancent régulièrement au Bloc québécois à la Chambre des communes, où il s’emploie à véhiculer les demandes du gouvernement caquiste, même quand il les juge bien timides, était certainement de nature à l’irriter.

L’occasion de lui remettre la monnaie de sa pièce s’est présentée cette semaine, quand il a été invité à commenter les propos de Justin Trudeau, selon lequel les citoyens, qu’ils soient Canadiens ou Québécois, « s’en foutent » des chicanes entre Ottawa et les provinces, quand ils ont du mal à trouver un logement abordable ou à payer leur........

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