Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, n’a certainement pas été le seul à sursauter en voyant la mairesse Valérie Plante qualifier d’« attaque contre Montréal » la hausse des droits de scolarité imposée aux étudiants canadiens hors Québec qui veulent s’inscrire dans les universités anglo-montréalaises.

À l’invitation de la mairesse, l’ancienne ministre d’État aux Affaires municipales Louise Harel, intraitable sur la question linguistique, est devenue la première présidente du Comité de la Ville de Montréal sur la langue française, créé en 2022. Mme Harel n’a sans doute jamais été une grande lectrice de The Gazette, mais le « No thanks » que Mme Plante a lancé en entrevue ne lui a sûrement pas échappé.

Cela n’a pas dû échapper non plus à son ex-collègue et amie Louise Beaudoin, également membre du comité sur la langue française. À l’époque où elle était ministre responsable de la Langue française dans le gouvernement Bouchard, elle ne se gênait pas pour rappeler les Français à l’ordre quand elles jugeaient que leur anglophilie dépassait les bornes.

Mme Plante n’a jamais été perçue comme une grande défenseure du français, bien au contraire. Les états de service de ces deux femmes à ce chapitre ont pu donner une certaine crédibilité à son Plan d’action en matière de valorisation de la langue française 2021-2024, mais elle ne fait rien pour leur simplifier la tâche.

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L’actuel ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a déclaré jeudi que la mairesse de Montréal ne pouvait pas être considérée comme une « alliée », contrairement à ce qu’elle-même prétendait être en 2021, ce qui ne l’avait pas empêchée d’émettre de sérieuses réserves sur le projet de loi 96 sur la langue. Si l’on se fie aux propos de Mme Plante, la valorisation du français telle qu’elle la conçoit ne devrait pas constituer un empêchement à l’anglicisation de la métropole.

Il était sidérant de l’entendre dire qu’il ne devrait pas y avoir de différence entre le traitement réservé à l’Université Bishop’s, minuscule établissement sis dans un environnement où le français n’est aucunement menacé, et celui réservé aux deux géantes que sont McGill et Concordia, dont la clientèle anglophone impose sa langue dans le centre-ville.

Il était prévisible que la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement Legault entraîne une baisse des inscriptions. En novembre dernier, McGill parlait d’une chute de 20 % à 80 % des étudiants canadiens hors Québec qui menacerait l’existence de certaines de ses facultés et de ses équipes sportives. Aux dernières nouvelles, le chiffre serait de 22 %. À Concordia, 27 %.

Les droits de scolarité ne passeront pas de 9000 $ à 17 000 $ comme il était prévu au départ, mais plutôt à 12 000 $. En revanche, Québec veut imposer une francisation sommaire de 80 % des nouveaux inscrits non québécois. On peut se demander si c’est le coût ou l’obligation d’apprendre le français qui dérange le plus.

Il est indéniable que cela causera des inconvénients à McGill et à Concordia. Cela diminuera sans doute l’attrait de Montréal en tant que ville universitaire, avec l’effet économique négatif qui en résultera, mais c’est le prix à payer pour assurer la pérennité d’une société à prédominance française. On peut continuer à jouer à l’autruche, comme le fait Mme Plante, mais il n’est plus possible de ménager à la fois la chèvre et le chou.

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Alors que le malheur ne cesse de s’abattre sur le gouvernement Legault, la défense du français demeure une valeur sûre pour la Coalition avenir Québec et s’accorde bien au rôle de « Capitaine Québec à l’intérieur du Canada » qu’entend jouer le premier ministre.

Des députés caquistes dont on n’avait presque jamais entendu parler sont montés au front. Valérie Schmaltz (Vimont) a accusé Mme Plante de vouloir ériger un mur autour de Montréal pour mieux l’angliciser. Au nom des régions, sa collègue Stéphanie Lachance (Bellechasse) a demandé qu’on protège le français « d’un bout à l’autre » du Québec.

Si la mairesse Plante ne constitue pas une « alliée », on peut aussi s’interroger sur Denis Coderre. S’il y a un point commun à ces irréductibles ennemis, c’est bien leur mollesse sur la question de la langue.

Lors du passage de Denis Coderre au Devoir, durant la campagne municipale de 2021, on lui avait demandé ce qu’il comptait faire pour favoriser la promotion du français et l’intégration des immigrants s’il redevenait maire. Il n’avait rien à en dire, sinon que la « réalité anglaise » constituait une plus-value pour Montréal, qu’il ne fallait pas avoir une « vision réductrice » de la métropole et, surtout, qu’il ne fallait pas succomber au « syndrome du provincialisme ».

La clientèle anglophone du Parti libéral du Québec applaudira certainement cette approche, mais l’aspirant à la chefferie devrait peut-être la nuancer quelque peu s’il veut reconnecter son parti à l’électorat francophone.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - L’autruche, la chèvre et le chou - Michel David
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L’autruche, la chèvre et le chou

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10.02.2024

Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, n’a certainement pas été le seul à sursauter en voyant la mairesse Valérie Plante qualifier d’« attaque contre Montréal » la hausse des droits de scolarité imposée aux étudiants canadiens hors Québec qui veulent s’inscrire dans les universités anglo-montréalaises.

À l’invitation de la mairesse, l’ancienne ministre d’État aux Affaires municipales Louise Harel, intraitable sur la question linguistique, est devenue la première présidente du Comité de la Ville de Montréal sur la langue française, créé en 2022. Mme Harel n’a sans doute jamais été une grande lectrice de The Gazette, mais le « No thanks » que Mme Plante a lancé en entrevue ne lui a sûrement pas échappé.

Cela n’a pas dû échapper non plus à son ex-collègue et amie Louise Beaudoin, également membre du comité sur la langue française. À l’époque où elle était ministre responsable de la Langue française dans le gouvernement Bouchard, elle ne se gênait pas pour rappeler les Français à l’ordre quand elles jugeaient que leur anglophilie dépassait les bornes.

Mme Plante n’a jamais été perçue comme une grande défenseure du français, bien au contraire. Les états de service de ces deux femmes à ce chapitre ont pu donner une certaine crédibilité à son Plan d’action........

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