En juillet 1995, le compte rendu d’une conversation avec un groupe d’ambassadeurs dans laquelle Jacques Parizeau comparait une éventuelle victoire du oui à une « cage à homard » dans laquelle les Québécois seraient enfermés avait causé toute une commotion.

Cela avait alimenté la rhétorique du camp fédéraliste, qui s’employait à répandre la désagréable impression que le Parti québécois était continuellement à la recherche d’astuces visant à piéger les Québécois et à les placer devant un fait accompli.

C’est cette même impression que plusieurs éprouvent par rapport au dossier Northvolt. Le gouvernement Legault semble vouloir nous entraîner à une marche forcée dans un projet qui devient plus irréversible chaque jour, sans qu’on puisse en examiner les tenants et aboutissants. Lui-même ne semble pas intéressé à les connaître.

Les réunions d’information auxquelles ont été conviés les résidents du secteur où l’entreprise suédoise installera son usine n’avaient rien de rassurant. L’absence de réponse à leurs préoccupations avait même quelque chose d’insultant.

Impossible de savoir quelles quantités d’eau seront prélevées et ce qui sera rejeté dans la rivière Richelieu, qui constitue la source d’alimentation en eau potable de plusieurs municipalités. « Présentement, nous n’avons pas de demande [d’autorisation], donc je n’ai pas de données à partager avec vous », a expliqué le directeur régional du ministère de l’Environnement en Montérégie.

Même chose pour les rejets dans l’air, le recyclage des batteries ou encore le bruit. Le ministère ne sait rien de tout cela et ne s’y intéressera qu’au moment où le projet en sera rendu à ces étapes de sa réalisation.

***

Ce processus d’autorisation progressive constitue en soi une formidable « cage à homard ». Une fois que l’usine sera sortie de terre, quelqu’un pense-t-il sérieusement qu’après y avoir investi des milliards, le gouvernement va demander qu’elle soit démantelée parce qu’elle ne répond pas à ses normes ?

On a toléré pendant des décennies que la fonderie Horne empoisonne les résidents de Rouyn-Noranda à l’arsenic, sans parler des autres rejets toxiques, sous prétexte que sa fermeture aurait constitué une catastrophe économique.

En mars 2023, le gouvernement a finalement exigé que les émissions d’arsenic soient réduites à 15 nanogrammes par mètre cube d’air en 2027, et éventuellement à 3 nanogrammes, mais voilà que les coûts de cette réduction, évalués au départ à 500 millions de dollars, ont été « significativement révisés » — à la hausse, bien entendu —, et l’entreprise laisse entendre qu’elle pourrait plutôt fermer son usine. Évidemment, si le gouvernement acceptait de payer…

Soit, une fonderie vieille de près d’un siècle et une nouvelle usine de batteries sont des choses bien différentes et Northvolt se pique d’être un modèle de respect de l’environnement, mais les affaires sont les affaires et aucune entreprise ne va accepter des exigences qui compromettraient sa rentabilité.

Les multinationales savent parfaitement évaluer leur rapport de force face à un gouvernement. Comme Glencore est consciente de l’importance de son usine pour l’économie de Rouyn-Noranda, Northvolt a très bien mesuré l’intérêt que le gouvernement Legault accorde, avec raison, à la filière batterie.

***

Ce dernier s’est toutefois enfermé lui-même dans la « cage à homard » en exemptant le projet d’un examen du BAPE, qui aurait permis de l’étudier dans son entièreté. En déclarant, dans une entrevue à La Presse, que Northvolt aurait préféré s’installer ailleurs plutôt que de s’y soumettre, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a implicitement reconnu que son gouvernement avait en réalité cédé à une forme de chantage. Et que lui-même doit être traité en quantité négligeable, ce que les fonctionnaires de son propre ministère ont compris depuis longtemps.

M. Charette donne ainsi raison à tous ceux que son collègue de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a qualifié de « militants » parce qu’ils prétendaient — à tort, soutenait-il — que les règles avaient été faussées pour accommoder Northvolt.

Le gouvernement avait parfaitement le droit de penser que ce projet était indispensable à la décarbonation de l’économie et à l’atteinte de ses objectifs de réduction des GES, ou même que la procédure du BAPE est devenue trop contraignante, mais il a préféré nier pendant des mois une évidence qui sautait aux yeux de tous.

Après un tel aveu, M. Charette aurait au moins pu s’épargner le ridicule d’ajouter : « Il n’y a eu aucun traitement de faveur accordé à Northvolt, aucun passe-droit et aucune pression politique. »

Il assure maintenant que son ministère sera d’une grande vigilance pour la suite des choses. « Ces évaluations qu’on fait, elles sont parmi les plus strictes au monde. Et pour chacune des étapes, ces évaluations seront requises… sans quoi l’usine ne verra pas le jour. » Sans blague !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - La «cage à homard» - Michel David
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La «cage à homard»

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07.03.2024

En juillet 1995, le compte rendu d’une conversation avec un groupe d’ambassadeurs dans laquelle Jacques Parizeau comparait une éventuelle victoire du oui à une « cage à homard » dans laquelle les Québécois seraient enfermés avait causé toute une commotion.

Cela avait alimenté la rhétorique du camp fédéraliste, qui s’employait à répandre la désagréable impression que le Parti québécois était continuellement à la recherche d’astuces visant à piéger les Québécois et à les placer devant un fait accompli.

C’est cette même impression que plusieurs éprouvent par rapport au dossier Northvolt. Le gouvernement Legault semble vouloir nous entraîner à une marche forcée dans un projet qui devient plus irréversible chaque jour, sans qu’on puisse en examiner les tenants et aboutissants. Lui-même ne semble pas intéressé à les connaître.

Les réunions d’information auxquelles ont été conviés les résidents du secteur où l’entreprise suédoise installera son usine n’avaient rien de rassurant. L’absence de réponse à leurs préoccupations avait même quelque chose d’insultant.

Impossible de savoir quelles quantités d’eau seront prélevées et ce qui sera rejeté dans la rivière Richelieu, qui constitue la source d’alimentation en eau potable de plusieurs municipalités. «........

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