Il y a quelque chose d’un peu enfantin dans l’espèce de frénésie qui s’empare du petit monde politico-médiatique québécois dès qu’un président ou un premier ministre français débarque.

Même quand il n’y a pas de référendum à l’horizon, tout l’intérêt de la visite semble se limiter à voir s’il va répéter le fameux « non-ingérence, non-indifférence », chercher à l’éviter ou, pire encore, le renier, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy, aussitôt qualifié d’apostat. Même Jean Charest, qu’on ne pouvait pas soupçonner de sympathies souverainistes, avait trouvé son zèle fédéraliste un peu excessif.

Gabriel Attal savait très bien qu’il allait devoir passer l’examen à son tour. Il a voulu faire preuve d’originalité en transformant le « ni-ni » en « et-et », c’est-à-dire « et sensibilité et respect », mais c’est du pareil au même. D’ailleurs, plus personne ne se formalise de ce qui est devenu une sorte de rituel sans grande signification. Même Justin Trudeau a semblé « s’en foutre » autant que des champs de compétence des provinces.

Les Québécois se sont longtemps plu à croire que le « ni-ni » taillé à leur mesure est en réalité une formule passe-partout à laquelle la diplomatie française a recours un peu partout où elle sent le besoin de ménager la chèvre et le chou, comme tous les pays du monde doivent parfois le faire.

Le président Macron l’a déjà utilisée pour caractériser la position de la France concernant l’Irak. Elle avait aussi été présentée comme sa ligne de conduite en Afrique. Que cette ligne ait été suivie ou non est une autre question.

***

Plus jeune premier ministre de l’histoire de France, M. Attal a souligné qu’il n’était pas né, en 1967, quand le général de Gaulle a lancé son « Vive le Québec libre ! » du haut de l’hôtel de ville de Montréal, et qu’il avait seulement 6 ans lors du référendum de 1995. C’est comme parler des dernières coupes Stanley du Canadien quand on l’a presque toujours vu exclu des séries éliminatoires.

Dans son allocution à l’Assemblée nationale, M. Attal est revenu constamment sur le thème de la jeunesse. « Je viens m’exprimer devant vous comme un homme de ma génération », a-t-il dit. Si la question de l’avenir politique du Québec laisse un grand nombre de jeunes Québécois indifférents, pourquoi s’y intéresserait-on en France ?

« Le défi fondamental de ma génération, c’est la transition écologique », a déclaré Attal. C’est aussi ce qu’elle pense de ce côté-ci de l’Atlantique et elle n’est pas convaincue que l’indépendance soit la meilleure façon de le relever, même si le Canada demeure et restera encore longtemps un pays pétrolier. En revanche, il serait peut-être surpris de constater que la laïcité, qu’il a louée avec une vigueur qui a enchanté François Legault, n’a pas la cote chez les jeunes Québécois. Là où il voit une « condition de la liberté », ils voient plutôt une forme de discrimination.

Pendant des années, les souverainistes québécois ont été en contact étroit avec la classe politique française. Les Bernard Landry, Louise Beaudoin, Jacques-Yvan Morin et autres ont noué des amitiés profondes et durables au plus haut niveau et dans toutes les familles politiques, dont la cause indépendantiste a immensément profité et qui ont pu faire contrepoids aux interventions pressantes d’Ottawa.

***

De part et d’autre, la garde a cependant changé. Si l’on fait exception de l’éphémère gouvernement minoritaire de Pauline Marois, les péquistes ont été chassés du pouvoir depuis plus de vingt ans et ceux qui leur ont succédé se sont efforcés de donner à la relation entre la France et le Québec une orientation résolument économique. Si l’indépendance n’intéressait plus les cousins d’Amérique, la France aurait été bien malvenue de chercher à les accompagner là où ils ne voulaient pas aller.

Lors de son passage à l’Assemblée nationale, M. Attal a toutefois dû remarquer que les deux chefs de parti souverainistes étaient aussi les plus jeunes. On a aussi dû lui expliquer que les deux autres chefs étaient jadis souverainistes, mais qu’ils avaient abandonné leurs convictions de jeunesse en prenant de l’âge. Le premier ministre Legault et le chef intérimaire du PLQ, Marc Tanguay, sont assurément des hommes sympathiques, mais on peut penser que M. Attal se sentirait de prime abord plus d’affinités avec Paul St-Pierre Plamondon et Gabriel Nadeau-Dubois.

Dans son mot de bienvenue, le chef péquiste a manifesté on ne peut plus clairement son désir de voir la France se ranger aux côtés du Québec au lendemain d’un référendum gagnant, laissant même entendre que M. Attal pourrait alors être président de la République. Tout cela demeure hautement hypothétique, mais il est certain que la France aurait encore un rôle capital à jouer dans la reconnaissance internationale d’un Québec indépendant, comme Jacques Parizeau l’avait prévu dans son « grand jeu ».

M. Attal a envoyé un message qui en encouragera plusieurs et en inquiétera d’autres, en clôturant la conférence de presse, vendredi, sur la phrase suivante, volontairement ambiguë : « Le Québec, c’est une nation qui a pris son destin en main et suit son étoile. » Soit, mais la France suivra-t-elle ? La suite à la prochaine visite.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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13.04.2024

Il y a quelque chose d’un peu enfantin dans l’espèce de frénésie qui s’empare du petit monde politico-médiatique québécois dès qu’un président ou un premier ministre français débarque.

Même quand il n’y a pas de référendum à l’horizon, tout l’intérêt de la visite semble se limiter à voir s’il va répéter le fameux « non-ingérence, non-indifférence », chercher à l’éviter ou, pire encore, le renier, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy, aussitôt qualifié d’apostat. Même Jean Charest, qu’on ne pouvait pas soupçonner de sympathies souverainistes, avait trouvé son zèle fédéraliste un peu excessif.

Gabriel Attal savait très bien qu’il allait devoir passer l’examen à son tour. Il a voulu faire preuve d’originalité en transformant le « ni-ni » en « et-et », c’est-à-dire « et sensibilité et respect », mais c’est du pareil au même. D’ailleurs, plus personne ne se formalise de ce qui est devenu une sorte de rituel sans grande signification. Même Justin Trudeau a semblé « s’en foutre » autant que des champs de compétence des provinces.

Les Québécois se sont longtemps plu à croire que le « ni-ni » taillé à leur mesure est en réalité une formule passe-partout à laquelle la diplomatie française a recours un peu partout où elle sent le besoin de ménager la chèvre et le chou, comme tous les pays du monde doivent parfois le........

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