François Legault n’est pas le premier à se plaindre de la difficulté de réaliser de grands projets dans le Québec d’aujourd’hui.

Lucien Bouchard l’avait déplorée, lui aussi, en 2006, quand une levée de boucliers avait empêché le déménagement du casino de l’île Notre-Dame dans un complexe situé dans le secteur du bassin Peel, qui aurait également abrité un hôtel et une salle de spectacle du Cirque du Soleil.

Des organismes communautaires de l’arrondissement du Sud-Ouest, à Montréal, appuyés par une pétition signée par la moitié des résidents adultes de Pointe-Saint-Charles, s’étaient inquiétés des dangers d’un tel projet dans un secteur où vivait une clientèle vulnérable. Soucieux de son image, le Cirque du Soleil avait décidé de s’en retirer, au grand dam de Loto-Québec et du gouvernement Charest.

Près de dix ans plus tard, Denis Coderre, devenu entre-temps maire de Montréal, avait déclaré avoir encore « honte » de l’échec de 2006. Il avait voulu « replacer ça » en invitant le président du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, à réaliser sur l’île Sainte-Hélène son projet de complexe funéraire Pangéa.

Cette fois-ci, c’est l’opposition à la construction de l’usine de batteries de Northvolt qui a provoqué la sortie du premier ministre Legault. « Quand je regarde certaines personnes critiquer sans nuance les projets de développement économiques au Québec, ça me rend triste », a-t-il déclaré, ajoutant qu’avec ce « genre d’attitude, le développement hydroélectrique de la baie James aurait été impossible ».

Si cela peut consoler M. Legault, le Québec n’a pas le monopole de ce « genre d’attitude », qui semble être une tare à ses yeux, mais qui est très répandue en Occident. Ainsi, en Allemagne, qui n’a jamais eu la réputation d’être un pays allergique au progrès technologique, les grands projets rencontrent exactement les mêmes problèmes qu’ici.

L’automne dernier, il a fallu tenir un référendum dans un village de Bavière pour permettre à BMW d’y implanter une usine de batteries électriques qui emploiera 3200 personnes, alors que le village compte actuellement 2700 habitants.

Les opposants déploraient la destruction de 100 hectares de terres arables de première qualité, ce qu’ils estimaient être une grave erreur dans la perspective du changement climatique. Cela n’avait pas empêché 75 % des habitants de Strasskirchen de donner leur accord au projet.

BMW déplorait « une nette réticence à créer des sites industriels en Allemagne » précisément au moment où la transition énergétique l’exigeait. À tel point que le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait senti le besoin de proposer un « pacte allemand », qui permettrait de rendre son pays plus accueillant envers des projets qui risquaient autrement d’être réalisés ailleurs.

M. Legault donne l’impression de tenir ceux qui s’inquiètent des dommages que le projet d’usine de Northvolt causera à l’environnement pour des illuminés qui ne comprennent rien à la transition énergétique, mais les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets. En Hongrie, que Viktor Orbán veut transformer en « une grande puissance de la batterie », les environnementalistes sont aussi sur un pied de guerre.

On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Qu’on le veuille ou non, se libérer des énergies fossiles a aussi un coût, même s’il est moindre. Grâce à l’hydroélectricité, le Québec peut se vanter d’être l’endroit en Amérique du Nord où les émissions de GES par habitant sont les moins élevées, mais la construction du complexe de la Baie-James a nécessité d’inonder à jamais plus de 10 000 kilomètres carrés de forêt boréale.

Peu importe le projet, il s’en trouvera toujours pour en contester le bien-fondé, à tort ou à raison. M. Legault croit sincèrement au projet de Northvolt et au brillant avenir que la filière batterie réserve au Québec. Il se peut très bien qu’il ait raison et que le site de McMasterville soit le plus indiqué, malgré les inconvénients qu’il comporte. Plutôt que de se lamenter et de dénigrer les opposants, il devrait s’employer à démontrer que les avantages l’emportent.

Il serait plus convaincant si son gouvernement n’avait pas donné l’impression d’avoir changé les règles du jeu en cachette pour permettre à l’entreprise suédoise de se soustraire à un examen du BAPE, avant de placer la population devant le fait accompli.

Le bilan des principaux porte-parole du gouvernement dans ce dossier, Pierre Fitzgibbon (Économie, Énergie) et Benoit Charette (Environnement), n’était pas de nature à apaiser la méfiance. Depuis son entrée en politique, M. Fitzgibbon a acquis une solide réputation de tourner les coins ronds, tandis que plusieurs tiennent M. Charette pour une carpette.

« Si la population ne veut pas du projet, il n’y aura pas de projet », a déclaré M. Fitzgibbon. Très bien, il suffit de le lui demander. C’est ce qu’on a fait en Allemagne, où on déplorait pourtant ce « genre d’attitude », et elle a dit oui.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Le Québec et ce «genre d’attitude» - Michel David
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Le Québec et ce «genre d’attitude»

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13.02.2024

François Legault n’est pas le premier à se plaindre de la difficulté de réaliser de grands projets dans le Québec d’aujourd’hui.

Lucien Bouchard l’avait déplorée, lui aussi, en 2006, quand une levée de boucliers avait empêché le déménagement du casino de l’île Notre-Dame dans un complexe situé dans le secteur du bassin Peel, qui aurait également abrité un hôtel et une salle de spectacle du Cirque du Soleil.

Des organismes communautaires de l’arrondissement du Sud-Ouest, à Montréal, appuyés par une pétition signée par la moitié des résidents adultes de Pointe-Saint-Charles, s’étaient inquiétés des dangers d’un tel projet dans un secteur où vivait une clientèle vulnérable. Soucieux de son image, le Cirque du Soleil avait décidé de s’en retirer, au grand dam de Loto-Québec et du gouvernement Charest.

Près de dix ans plus tard, Denis Coderre, devenu entre-temps maire de Montréal, avait déclaré avoir encore « honte » de l’échec de 2006. Il avait voulu « replacer ça » en invitant le président du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, à réaliser sur l’île Sainte-Hélène son projet de complexe funéraire Pangéa.

Cette fois-ci, c’est l’opposition à la construction de l’usine de batteries de Northvolt qui a provoqué la sortie du premier ministre Legault. «........

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