Peu importe le parti au pouvoir à Ottawa, le Québec a historiquement trouvé avantage à ce que le gouvernement fédéral soit minoritaire à la Chambre des communes.

Dans les années 1960, le gouvernement de Lester B. Pearson lui a fait des concessions qui n’ont jamais été égalées depuis : transfert de points d’impôt, retrait du Régime de pensions du Canada, accès sans précédent à la scène internationale, etc.

Lors de la première décennie du XXIe siècle, celui de Paul Martin a accepté d’introduire le principe de l’asymétrie entre le Québec et les autres provinces dans les conditions du financement fédéral des soins de santé. Celui de Stephen Harper lui a accordé une place au sein de la délégation canadienne à l’UNESCO et a fait adopter une motion reconnaissant le caractère distinct de la « nation » québécoise.

Le gouvernement de Justin Trudeau est l’exception qui confirme la règle. Sa situation minoritaire ne l’a pas empêché de chercher à envahir les champs de compétence du Québec (et des autres provinces), notamment en matière de santé.

C’est cependant la première fois qu’un gouvernement fédéral empiète sur des compétences provinciales précisément parce qu’il est minoritaire. Si ce n’était de la nécessité de conserver le soutien du Nouveau Parti démocratique, sans lequel le gouvernement Trudeau risquerait d’être renversé, le nouveau programme d’assurance dentaire dont les modalités ont été annoncées lundi n’aurait sans doute pas vu le jour.

Sans surprise, tandis que le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, présentait le nouveau programme concocté par Ottawa comme la huitième merveille du monde sous les applaudissements de son homologue néodémocrate Don Davies, le ministre québécois responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge, dénonçait cette nouvelle intrusion.

Comme il a pu le faire dans le cas du programme pancanadien en matière de services de garde, le Québec voudrait plutôt exercer son droit de retrait avec pleine compensation financière puisqu’il a déjà son propre programme d’assurance dentaire.

Il y a cependant une différence. Les services de garde subventionnés par Québec sont de loin les plus développés au pays, et Ottawa n’a pas exigé d’y ajouter quoi que ce soit, alors que le Régime canadien de soins dentaires (RCSD) sera nettement plus étendu que celui qui est administré présentement par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Il assumera, en tout ou en partie, le coût de l’assurance dentaire des aînés dont le revenu familial est inférieur à 90 000 $. Les moins de 18 ans et les personnes handicapées seront également admissibles. Dans sa forme actuelle, le programme québécois ne vise que les 10 ans et moins et les bénéficiaires de l’aide sociale.

Le RCSD entrera en vigueur d’ici l’automne 2024 et les plus âgés seront invités à s’inscrire dès lundi prochain. Cela laisse peu de temps pour arriver à une entente. Certes, le Québec n’est pas le seul à avoir des réserves, mais les autres provinces et territoires ont fini par s’entendre avec Ottawa sur le financement des soins de santé, même si tous avaient déclaré son offre inacceptable.

Il y a toujours quelque chose de vicieux dans la façon dont le gouvernement fédéral utilise son « pouvoir de dépenser », qui n’est pas prévu dans la Constitution, mais qu’Ottawa a néanmoins la capacité d’imposer grâce aux moyens financiers dont il dispose.

Les provinces veulent à bon droit protéger leurs compétences, mais les contribuables souhaitent tout aussi légitimement recevoir les services les plus étendus possibles. Que le chèque soit signé à Ottawa, à Québec ou à Toronto, l’argent vient toujours de leur poche. Celui qui crée des problèmes, même s’il est dans son droit, doit en porter l’odieux.

Non seulement le nouveau régime constitue un empiètement grossier sur un champ de compétence provincial, mais Jean-François Roberge a également fait valoir que la contribution financière du gouvernement fédéral ne sera pas à la hauteur des services qu’il prétend offrir : les provinces devront donc combler la différence.

Or, l’expérience enseigne qu’Ottawa a la fâcheuse tendance à se désengager progressivement des services qu’il crée et d’en laisser le fardeau aux provinces. Au départ, le coût des services de santé était partagé moitié-moitié, mais la contribution fédérale est aujourd’hui inférieure au quart. On peut donc comprendre que Québec garde une dent contre Ottawa.

Le gouvernement Legault se dit prêt à étendre les services dentaires qu’il offre présentement, et demande qu’Ottawa augmente plutôt le Transfert canadien en matière de santé. Encore faudrait-il que cela se traduise par un niveau de services équivalent — ce qui n’est pas garanti, puisque Québec estime ne pas avoir de comptes à rendre.

Le président de l’Association des chirurgiens dentistes du Québec, le Dr Carl Tremblay, « préfère avoir un programme bien établi au fédéral, plutôt que d’envoyer un chèque en blanc au provincial, ne sachant pas ce qu’il fera avec les sous et quelle proportion il va réinvestir dans les soins dentaires ». Une méfiance qui n’est pas sans fondement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Une dent contre Ottawa - Michel David
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Une dent contre Ottawa

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14.12.2023

Peu importe le parti au pouvoir à Ottawa, le Québec a historiquement trouvé avantage à ce que le gouvernement fédéral soit minoritaire à la Chambre des communes.

Dans les années 1960, le gouvernement de Lester B. Pearson lui a fait des concessions qui n’ont jamais été égalées depuis : transfert de points d’impôt, retrait du Régime de pensions du Canada, accès sans précédent à la scène internationale, etc.

Lors de la première décennie du XXIe siècle, celui de Paul Martin a accepté d’introduire le principe de l’asymétrie entre le Québec et les autres provinces dans les conditions du financement fédéral des soins de santé. Celui de Stephen Harper lui a accordé une place au sein de la délégation canadienne à l’UNESCO et a fait adopter une motion reconnaissant le caractère distinct de la « nation » québécoise.

Le gouvernement de Justin Trudeau est l’exception qui confirme la règle. Sa situation minoritaire ne l’a pas empêché de chercher à envahir les champs de compétence du Québec (et des autres provinces), notamment en matière de santé.

C’est cependant la première fois qu’un gouvernement fédéral empiète sur des compétences provinciales précisément parce qu’il est minoritaire. Si ce n’était de la nécessité de conserver le soutien du Nouveau Parti démocratique, sans lequel le gouvernement Trudeau........

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