C’est aujourd’hui que se termine la Semaine des enseignantes et des enseignants. Je leur avais, il y a peu, lancé une invitation à faire partager de ces belles histoires qu’on vit souvent quand on exerce ce métier. Plus que jamais, il faut en parler. Car, malgré tout le reste, où se trouve parfois du moins beau, il se passe en éducation des choses magnifiques.

Je prévoyais raconter quelques-unes de ces histoires aujourd’hui. Mais la réponse a été si grande que je vais finalement y consacrer deux chroniques. Dans nos pages, la Semaine des enseignantes et des enseignants en durera donc deux…

C’est une classe de sciences pour raccrocheurs. Un des élèves vient de la Syrie. Sa famille tout entière a été tuée dans un attentat. Il s’en est tiré, miraculeusement assure-t-il, les balles sifflant autour de lui sans l’atteindre.

Il connaît par coeur des milliers de décimales de Pi, a eu 100 % dans son examen d’histoire de la 4e secondaire… alors qu’il ne connaissait rien du Québec avant d’arriver ici. Un génie, personne n’en doute dans la classe.

Ce jour-là, au labo, il doit allumer un brûleur à gaz à une température de 3200 °C. Qui sait quels souvenirs cela éveille…

« Il se tenait loin du brûleur et hésitait avant de s’en approcher. On voyait la peur dans ses yeux. Spontanément, une jeune femme issue du Djibouti remarqua sa détresse. Elle lui rendit un regard plein de tendresse et prit sa main. “Je vais t’aider. Nous allons l’allumer ensemble.” J’ai assisté au spectacle qui se déroulait devant moi.

Quelle beauté, quelle tendresse, quel regard. Je demeurai sans voix ainsi que toute la classe, qui l’a applaudi. Voilà pourquoi j’enseigne. »

Une enseignante de 2e secondaire demande à ses élèves d’écrire un texte sur eux-mêmes, en parlant de leurs qualités, de leurs défauts, de leurs passe-temps, de leur famille, etc.

Une élève raconte que sa mère est partie, qu’elle vit avec son père, avec qui elle a une mauvaise relation. Inquiète, l’enseignante montre le texte à l’éducatrice spécialisée, qui rencontre l’élève. À la lecture de ce texte, des drapeaux rouges se sont élevés. L’enseignante a réagi.

La DPJ, alertée, sort l’élève de la maison paternelle, la met dans une famille d’accueil.

« Aujourd’hui, fin du cours. La cloche sonne et mon élève quitte la classe. Je ramasse mon matériel et la vois dans le cadre de la porte. Elle rentre dans le local et ferme la porte. Elle s’avance vers moi et je remarque qu’elle pleure. Je dépose mon matériel et je la regarde attentivement. Elle me dit : “Merci, madame, d’avoir compris que j’étais battue par mon père et que je n’en pouvais plus de vivre avec lui. Je ne savais pas à qui en parler.” Elle éclate en sanglots. Je lui fais un immense câlin et lui flatte les cheveux. Je lui dis : “Pleure minou, pleure.” Depuis tantôt, c’est moi qui pleure, car je suis émue et reconnaissante qu’elle ait eu confiance en moi. C’est une des raisons pour lesquelles je ne quitterai pas l’enseignement. »

C’était il y a 20 ans, dans une école primaire. L’enseignant, comme à son habitude, donne à ses élèves des poèmes québécois à apprendre. Leclerc, Vigneault, La Bolduc… Un élève revient du congé des Fêtes avec une lettre de deux pages signée par son grand-père.

« Des mots remplis d’amour, de joie et de souvenirs. Car durant Noël, son petit-fils avait récité des textes de son époque et cela l’avait grandement ému. Toute la famille semblait avoir vécu des moments inoubliables. La lettre me disait à quel point il est important pour les enseignants de sortir parfois des sentiers battus concernant les fameux “savoirs” à enseigner. Depuis ce jour, cette lettre est affichée sur mon babillard de classe. Quand les temps sont difficiles, il m’arrive de la relire. »

Enseignant en musique au primaire, il a un élève de sixième année particulièrement talentueux, voire génial : maîtrise incroyable de la technique pour son âge, grande facilité à improviser et à composer. Mais il vit des moments difficiles dans sa vie et a sans doute trouvé refuge dans la musique.

Ensemble, après l’école, son enseignant et lui ont enregistré ses compositions. Pour le plaisir de faire de l’art.

« Puis, j’ai décidé d’organiser un récital en soirée dans le gymnase de l’école. Il était plein et le public a été impressionné par son talent et sa folie. J’ai fait sa première partie à la guitare, il a fait son spectacle au piano, puis nous avons improvisé ensemble quelques pièces. Cette année, cet élève est maintenant au secondaire. Il est revenu “jammer” avec moi à l’école, pour le plaisir. Je lui souhaite tout le bonheur du monde ! »

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

QOSHE - Les belles histoires du salon des enseignants (1/2) - Normand Baillargeon
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Les belles histoires du salon des enseignants (1/2)

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10.02.2024

C’est aujourd’hui que se termine la Semaine des enseignantes et des enseignants. Je leur avais, il y a peu, lancé une invitation à faire partager de ces belles histoires qu’on vit souvent quand on exerce ce métier. Plus que jamais, il faut en parler. Car, malgré tout le reste, où se trouve parfois du moins beau, il se passe en éducation des choses magnifiques.

Je prévoyais raconter quelques-unes de ces histoires aujourd’hui. Mais la réponse a été si grande que je vais finalement y consacrer deux chroniques. Dans nos pages, la Semaine des enseignantes et des enseignants en durera donc deux…

C’est une classe de sciences pour raccrocheurs. Un des élèves vient de la Syrie. Sa famille tout entière a été tuée dans un attentat. Il s’en est tiré, miraculeusement assure-t-il, les balles sifflant autour de lui sans l’atteindre.

Il connaît par coeur des milliers de décimales de Pi, a eu 100 % dans son examen d’histoire de la 4e secondaire… alors qu’il ne connaissait rien du Québec avant d’arriver ici. Un génie, personne n’en doute dans la classe.

Ce jour-là, au labo, il doit allumer un brûleur à gaz à une température de 3200 °C. Qui sait quels souvenirs cela éveille…

« Il se tenait loin du brûleur........

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