La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) poursuit sa grève générale illimitée. Le 8 décembre, si rien n’a bougé à la table des négociations, le Front commun la rejoindra, pour sept jours de grève. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) se joindrait à eux à compter du 11 décembre.

Dans un beau texte, ma collègue Nathalie Plaat racontait récemment en ces pages comment la mère qu’elle est abordait avec sa fille la délicate question de la grève des enseignants.

Comment en parler à des élèves en classe si on est enseignant ? La philosophie a là-dessus des choses que je pense précieuses à dire.

Un parent parle à son enfant de la grève : personne ne lui en voudra de donner son point de vue et même de ne donner que celui-ci. On est ici dans l’espace privé.

On ne dira pas la même chose s’il s’agit des médias, une importante composante de l’espace public : ici, on devrait viser l’objectivité et demander qu’on reflète au mieux la diversité des points de vue. Idéalement, on donnera donc la parole à des représentants de tous ces points de vue.

Venons-en à l’école, en salle de classe. Nous voici dans un autre espace : l’espace civique. Le jeu vient de changer de manière importante.

Quand il aborde un sujet controversé, polémique, débattu — le genre et le sexe, le nationalisme, le libre marché, les croyances religieuses, et bien d’autres, sans oublier une grève —, l’enseignant doit d’abord distinguer entre ce qui est solidement établi (par exemple par la science) et ce qui est sujet à débat. Il doit aussi tenir compte de ce qui est prescrit par le droit et exigé des politiques publiques. Tout cela demande du savoir.

Mais une fois tout cela considéré, voici un sujet qu’il peut, voire doit, aborder en classe, typiquement parce que le programme ou l’actualité le demande.

Ici encore, il lui faut du savoir. L’enseignant doit pouvoir expliquer ce qu’est une grève, qui la fait, contre qui. Et pourquoi on la fait…

Contrairement aux intervenants dans la sphère privée ou publique, l’enseignant doit connaître les différents points de vue sur la question abordée. Cela, de nouveau, demande du savoir.

Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Du savoir, mais aussi du tact et un sens de ce qu’il accomplit et pour quel public : ce sont des enfants ou de jeunes gens que la loi oblige à être devant lui. Il doit donc prendre en compte leur âge, ce qu’ils savent, parce que le curriculum enseigné le leur a appris, mais aussi ce qu’ils ignorent encore, sans oublier ce qu’ils sont en mesure de comprendre. Cela demande encore une fois du savoir.

On peut espérer que, devant cette délicate mais nécessaire tâche, l’enseignant a aussi en tête une importante chose apprise dans son cours de philosophie de l’éducation. La voici.

Il peut, et même en bien des cas il doit, aborder en classe des sujets controversés, des sujets sur lesquels des désaccords existent dans la société, des doctrines comme on dit pour les distinguer des savoirs, mais il doit le faire en s’assurant qu’il n’endoctrine pas les gens à qui il s’adresse.

Endoctriner ? C’est le contraire d’enseigner, par quoi on forme, en transmettant du savoir, un esprit libre, ouvert, autonome, capable de faire des choix. Endoctriner, au contraire, c’est fermer l’esprit sur une doctrine, et cela se fait en employant toutes sortes de moyens (occulter des points de vue, jouer sur les émotions, mal représenter certaines idées et bien d’autres) pour y parvenir.

Imaginez, en prenant en compte tout ce qui précède, que vous avez à parler d’un sujet controversé à une classe de troisième secondaire.

Vous ferez de la recherche sur le sujet. Vous vous renseignerez sur le curriculum enseigné au cours des années qui précèdent votre intervention et sur celui du cours dans lequel vous intervenez. Vous prendrez en compte l’âge des élèves. Vous serez prudent et aurez en tête cette cruciale exigence de ne pas endoctriner et tout ce qu’elle implique.

Ce faisant, vous comprendrez un peu mieux pourquoi ce métier est exigeant et pourquoi la formation qu’on donne aux personnes qui l’exercent devrait être très exigeante.

J’y pense. Ce faisant, vous comprendrez un peu mieux une part de ce qui se joue dans cette grève.

L’Institut national de santé publique du Québec vient de publier une analyse des recommandations en matière de réduction des risques sur la santé associés à l’utilisation des écrans en contexte scolaire. C’est à lire.

Entre autres choses : « Il est généralement recommandé de limiter le temps d’écran en classe et dans les services offerts avant ou après l’école, de prendre des pauses fréquentes lors de leur utilisation et d’intégrer du mouvement lors des pauses afin de limiter les comportements sédentaires à l’école. »

Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Parler de la grève avec les élèves

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02.12.2023

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) poursuit sa grève générale illimitée. Le 8 décembre, si rien n’a bougé à la table des négociations, le Front commun la rejoindra, pour sept jours de grève. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) se joindrait à eux à compter du 11 décembre.

Dans un beau texte, ma collègue Nathalie Plaat racontait récemment en ces pages comment la mère qu’elle est abordait avec sa fille la délicate question de la grève des enseignants.

Comment en parler à des élèves en classe si on est enseignant ? La philosophie a là-dessus des choses que je pense précieuses à dire.

Un parent parle à son enfant de la grève : personne ne lui en voudra de donner son point de vue et même de ne donner que celui-ci. On est ici dans l’espace privé.

On ne dira pas la même chose s’il s’agit des médias, une importante composante de l’espace public : ici, on devrait viser l’objectivité et demander qu’on reflète au mieux la diversité des points de vue. Idéalement, on donnera donc la parole à des représentants de tous ces points de vue.

Venons-en à l’école, en salle de classe. Nous voici dans un autre espace : l’espace civique. Le jeu vient de changer de manière importante.

Quand il aborde un sujet controversé, polémique,........

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