La grève se prolonge et on s’inquiète avec raison des effets qu’elle aura sur les élèves, sur les plus faibles d’entre eux bien entendu, mais aussi et même surtout sur tous ceux qui ont des besoins particuliers en raison de troubles de comportement ou d’apprentissage.

La composition des classes que leur présence modifie parfois substantiellement est, semble-t-il, un des grands enjeux de cette négociation.

J’ai bien hâte de pouvoir examiner attentivement ce qui aura été convenu à ce sujet, en espérant qu’on ne l’aura pas négligé et qu’on aura traité le difficile sujet comme il doit l’être. Et j’aimerais bien que pour ce faire, on m’instruise sur de délicates questions.

Le sujet est en effet vaste et complexe, à vrai dire d’une ampleur et d’une complexité rarement atteintes en éducation. Pour en donner une idée, rappelons que la médecine, la psychologie, un idéal philosophique d’égalité des chances, le droit et la pédagogie se retrouvent ici convoqués. On leur demande de recommander une pratique.

Il y a une trentaine d’années, on a fait au Québec le choix d’intégrer aux classes « régulières » ces élèves. Je me souviens que le mot qui circulait alors, importé des États-Unis, était mainstreaming.

La décision se défend. Mais le moins que l’on puisse dire est que les choses ne se sont pas passées comme on le souhaitait. Croyez-moi : les enseignantes et enseignants ne se plaignent pas pour rien.

Donnons quelques chiffres.

Au secondaire, il y avait, en 2011-2012, 25,8 % des élèves avec des plans d’intervention ; ils sont 32,8 % en 2022-2023. Il y avait 103 000 élèves en difficulté en 2000 ; ils seraient 258 000 aujourd’hui. Le nombre d’élèves ayant un trouble du
déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) augmente sans cesse. Ce qui diminue, par contre, ce sont les ressources allouées aux enseignants pour travailler avec ces élèves. Plus de 400 postes de psychologues, orthopédagogues et psychoéducateurs sont à combler en ce moment même dans les écoles publiques ! Il va de soi que notre école à trois vitesses accentue encore, et gravement, les dramatiques effets de ces facteurs conjugués.

A-t-on correctement suivi le déroulement de cette tragédie ? Peut-on en identifier ses principales causes ? A-t-on pour cela pratiqué sérieusement une gestion axée sur les résultats ? Je n’en suis pas certain. A-t-on toujours recommandé d’implanter les pratiques les meilleures pour intégrer ces enfants ? Je demande à voir. Et d’ailleurs, est-il vrai, comme je le lis parfois, qu’on manque cruellement de recherche crédible dans ce dossier ? J’aimerais savoir. Que valent les justifications éthiques et philosophiques apportées pour implanter ce que nous avons mis en place ? Qu’aurait, pour en rester à quelque chose qui m’est cher, apporté une approche par les capabilités ?
L’a-t-on considérée ? Sur cela aussi, j’aimerais qu’on m’éclaire. Sans oublier la place et l’importance qu’ont pu avoir, et le rôle qu’ont pu jouer, ces querelles de chapelle si fréquentes en éducation.

Pour le moment, je note que si la recherche crédible indique que l’engagement des parents joue un rôle dans la réussite de ces élèves, elle insiste aussi sur l’importance cruciale de l’aide apportée aux enseignants par des assistants comme, justement, des psychologues, des orthopédagogues et des psychoéducateurs.

Mais une chose est sûre : nous avons sur tout cela besoin d’éclairages crédibles et impartiaux.

On le sait : le projet de loi 23, que portait le ministre Bernard Drainville, vient tout juste d’être adopté. Il signifie entre autres la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE).

Cette grève terminée, celui-ci pourrait nous dire ce que les meilleures données probantes disponibles nous suggèrent de faire pour l’inévitable rattrapage qu’il faudra faire.

Mais sur cette question de l’intégration des élèves, j’aimerais bien… Non : nous avons cruellement besoin d’éclairages impartiaux, informés des meilleures données probantes et prenant en compte toutes les positions normatives qui jouent ici un rôle.

J’aimerais lire, prenant tout cela en compte, un riche historique de nos décisions et de leurs implantations. Comment en est-on arrivé là ? J’aimerais qu’on examine les autres options possibles pour aider les élèves en difficulté. Qu’on m’éclaire sur les meilleures pratiques, sur les moyens de les implanter et comment on doit s’y prendre pour faire un suivi rigoureux de ce qui est recommandé.

Et j’aimerais qu’on diffuse tout cela dans tout le réseau scolaire.

Imaginez qu’on se soit entendu à la table de négociation pour confier à l’INEE un tel projet.

Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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Vivement les éclairages de l’INEÉ

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16.12.2023

La grève se prolonge et on s’inquiète avec raison des effets qu’elle aura sur les élèves, sur les plus faibles d’entre eux bien entendu, mais aussi et même surtout sur tous ceux qui ont des besoins particuliers en raison de troubles de comportement ou d’apprentissage.

La composition des classes que leur présence modifie parfois substantiellement est, semble-t-il, un des grands enjeux de cette négociation.

J’ai bien hâte de pouvoir examiner attentivement ce qui aura été convenu à ce sujet, en espérant qu’on ne l’aura pas négligé et qu’on aura traité le difficile sujet comme il doit l’être. Et j’aimerais bien que pour ce faire, on m’instruise sur de délicates questions.

Le sujet est en effet vaste et complexe, à vrai dire d’une ampleur et d’une complexité rarement atteintes en éducation. Pour en donner une idée, rappelons que la médecine, la psychologie, un idéal philosophique d’égalité des chances, le droit et la pédagogie se retrouvent ici convoqués. On leur demande de recommander une pratique.

Il y a une trentaine d’années, on a fait au Québec le choix d’intégrer aux classes « régulières » ces élèves. Je me souviens que le mot qui circulait alors, importé des États-Unis, était mainstreaming.

La décision se défend.........

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