La direction artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sera bientôt confiée à une nouvelle personne, en succession à celle que Lorraine Pintal a menée avec détermination depuis plus de trois décennies, oscillant entre audace et prudence. On doit à la directrice sortante d’avoir permis une première transformation de ce lieu centenaire, en 1997, ce qui aura notamment rendu possible le développement de langages scéniques plus affirmés (décors, lumière, son). Au terme d’une seconde rénovation, toujours en cours, ce théâtre de 800 places comptera une seconde scène intimiste, la salle Réjean-Ducharme, au moment où la compagnie fêtera ses 75 ans.

Ce contexte est propice à une réflexion sur la place du TNM dans le paysage théâtral. Dans le public ou parmi les médias, plusieurs lui reconnaissent un statut d’institution. Pourtant, rien ne le distingue sur le plan légal des autres compagnies qui produisent en saison : il s’agit d’un organisme sans but lucratif dont est ultimement responsable un conseil d’administration.

C’est peut-être davantage au regard de son parcours depuis une époque lointaine n’ayant plus grand-chose à voir avec l’actuelle, mais où tout était à faire avec des moyens faméliques et de la noblesse des ambitions qui ont présidé à sa fondation, à l’ère duplessiste, que l’on peut ressentir ce sentiment d’appartenance du TNM à l’égard de la collectivité.

Dès sa première saison, avant la mise en ondes de la télévision de Radio-Canada, le TNM annonçait son intention de pérenniser la compagnie par une troupe et de créer une école de théâtre puisqu’il n’en existait alors aucune (il l’a tenue de 1952 à 1956) ; de doter la compagnie d’un lieu, de favoriser l’accès à ses activités au plus grand nombre et permettre l’émergence d’un théâtre canadien, tel qu’on désignait alors la réalité québécoise. Les tournées au pays ainsi qu’à l’étranger étaient souhaitées, bien qu’estimées improbables vu l’obligation faite aux interprètes de gagner leur vie à la radio puis à la télévision.

Dès les tout débuts, le TNM a traduit ses intentions et ses prises de position par des textes qu’on retrouvait à l’intérieur des programmes remis au public, puis par le biais de la publication L’envers du décor. Les gens de théâtre ont tenu une place importante au sein du conseil d’administration dès les premières années.

De 1951 à 1992, les directions artistiques ont été exercées selon une durée de 10 à 16 ans, puis durant trois décennies pour la dernière. Il serait sage de baliser d’emblée la durée du mandat de la prochaine, tout en laissant un temps raisonnable à son ou sa titulaire pour accomplir le projet qu’il ou elle proposera, cela afin d’assurer une plus grande fluidité générationnelle dans cette fonction, de contribuer à l’actualisation, voire au renouvellement de la mission de l’organisme, et de faire place à de nouvelles sensibilités et à diverses familles artistiques. Cette recommandation peut s’appliquer à d’autres compagnies détentrices d’un lieu dans le délicat équilibrage à installer entre la fidélisation d’un public et le danger d’un engourdissement artistique.

La nouvelle direction artistique du TNM s’exercera dans un environnement montréalais où ont émergé peu à peu de nombreux lieux dont plusieurs font une large place à la création (Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, La Licorne, théâtre Prospero, Salle Fred-Barry, Aux Écuries) et où personne ne se sent tenu, sauf exception, d’interroger le répertoire québécois. Notre dramaturgie serait-elle vouée à l’oubli sitôt créée ? Le TNM n’est-il pas un lieu propice pour faire le point sur l’évolution ou la non-évolution au sein de la société québécoise des problématiques en cause dans certaines pièces ou encore se pencher sur les écritures qui nécessitent un plus long temps d’exploration, parce que moins convenues ?

La prochaine directrice ou le prochain directeur artistique devra soumettre un projet susceptible de se réaliser pleinement dans un horizon à moyen ou long terme, car il est peu probable qu’elle ou il ait, à court terme, les moyens de ses ambitions : la compagnie est propriétaire d’un bâtiment avec des charges croissantes liées à son exploitation et tant le personnel que les équipes artistiques s’attendent à une rétribution exemplaire. À l’instar d’autres compagnies auxquelles son fonctionnement l’apparente, les subventions constituent moins du tiers de ses revenus, c’est dire l’importance de la billetterie et des commandites. La diminution des budgets du Conseil des arts et des lettres du Québec ne permet guère d’espérer une augmentation de subvention de sa part, alors que le TNM doit dorénavant animer deux salles. Il ou elle héritera toutefois d’une compagnie dont les finances sont saines.

L’institution théâtrale, soit l’ensemble des éléments qui constituent le paysage théâtral, a permis une diversification des pratiques et des publics. À cet égard, l’arrivée depuis quelques années de spectacles issus de producteurs privés à but lucratif dont les exigences artistiques reposent sur des finalités différentes change la donne et peut brouiller les frontières dans des partenariats de coproduction, a fortiori si leurs productions s’inscrivent dans la saison régulière du TNM.

Le rôle de ce dernier ne devrait-il pas s’actualiser par le développement d’un public averti et exigeant, offrir selon une tarification accessible une programmation donnant accès aux oeuvres du grand répertoire sans souligner à outrance leurs travers ou dénaturer leur ancrage historique, mais en misant sur l’intelligence du public pour en faire résonner la teneur au présent ? S’ouvrir à la dramaturgie étrangère contemporaine, absente de nos scènes sauf pour des productions d’accès facile ? Voire accueillir occasionnellement des productions étrangères de figures marquantes du théâtre contemporain et qui contribuent à la vitalisation de l’art, d’autant que cette voie n’est plus priorisée par le festival TransAmériques.

Voilà des défis, dont certains apparemment contradictoires, qui constituent autant d’avenues à emprunter potentiellement pour une actualisation de la mission du Théâtre du Nouveau Monde à l’aube de son 75e anniversaire et de son repositionnement dans le paysage théâtral.

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QOSHE - Un nouveau chapitre pour le Théâtre du Nouveau Monde - Pierre Macduff
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Un nouveau chapitre pour le Théâtre du Nouveau Monde

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09.04.2024

La direction artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sera bientôt confiée à une nouvelle personne, en succession à celle que Lorraine Pintal a menée avec détermination depuis plus de trois décennies, oscillant entre audace et prudence. On doit à la directrice sortante d’avoir permis une première transformation de ce lieu centenaire, en 1997, ce qui aura notamment rendu possible le développement de langages scéniques plus affirmés (décors, lumière, son). Au terme d’une seconde rénovation, toujours en cours, ce théâtre de 800 places comptera une seconde scène intimiste, la salle Réjean-Ducharme, au moment où la compagnie fêtera ses 75 ans.

Ce contexte est propice à une réflexion sur la place du TNM dans le paysage théâtral. Dans le public ou parmi les médias, plusieurs lui reconnaissent un statut d’institution. Pourtant, rien ne le distingue sur le plan légal des autres compagnies qui produisent en saison : il s’agit d’un organisme sans but lucratif dont est ultimement responsable un conseil d’administration.

C’est peut-être davantage au regard de son parcours depuis une époque lointaine n’ayant plus grand-chose à voir avec l’actuelle, mais où tout était à faire avec des moyens faméliques et de la noblesse des ambitions qui ont présidé à sa fondation, à l’ère duplessiste, que l’on peut ressentir ce sentiment d’appartenance du TNM à l’égard de la collectivité.

Dès sa première saison, avant la mise en ondes de la télévision de Radio-Canada, le TNM annonçait son intention de pérenniser la compagnie par une troupe et de créer une école de théâtre puisqu’il n’en existait alors aucune (il l’a tenue de 1952 à 1956) ; de doter la........

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