Paul St-Pierre Plamondon a récemment rappelé le risque d’évaporation du poids du Québec à Ottawa. Quelques jours plus tard, il a affirmé que l’histoire du Canada a été marquée par des exécutions et des déportations. Ces affirmations, tout à fait fondées, ont dérangé certains commentateurs, qui n’ont pas hésité à associer la rhétorique du chef péquiste à la « peur ».

Pablo Rodriguez, qui craint un référendum parce que cela pourrait entraîner des « chicanes de voisins », a même osé qualifier les propos de PSPP d’« inquiétants ». On notera quand même l’absurde : ce qui est épeurant et violent n’est plus l’histoire du Canada en tant que telle, mais le fait d’en parler.

La réaction des fédéralistes n’est pas étonnante. Ils manquent cruellement d’arguments depuis déjà une éternité. Jusqu’à aujourd’hui, le chantage et la peur ont été leurs meilleures armes. Ces dernières leur ont même permis de triompher en 1980 et en 1995. Ils seraient donc fous de changer de stratégie.

Mais sur les réseaux sociaux, on pouvait observer un autre type de réactions. Des citoyens, tout aussi mal à l’aise devant les propos de PSPP, doutaient ouvertement de l’importance de l’histoire dans la compréhension de l’actualité et dans la préparation de l’avenir. Il s’agit d’un sentiment tout à fait normal.

Qu’est-ce que la déportation des Acadiens ou encore la Conquête peuvent-elles bien révéler sur la condition actuelle des francophones au Canada ? Après tout, ne sommes-nous pas passés à autre chose ? Eh bien, pas tout à fait.

Les déportations, c’est du passé ? Parlez-en aux Acadiens, dont le premier ministre ne parle pas français, et qui ont vu leur député fédéral René Arseneault demander à la Chambre des communes 269 ans après la déportation la permission de ne plus prêter serment au roi d’Angleterre. Les Acadiens se sont heurtés aux rires des députés conservateurs, qui ont même eu le culot d’entonner God Save the King. La vidéo a fait le tour du monde.

La Conquête, c’est du passé ? Cet événement est survenu en 1763, mais il a fallu plus de 200 ans avant que les Québécois organisent un début de riposte sur le plan politique. Lorsqu’André Laurendeau et Davidson Dunton ont écrit dans un rapport en 1963 que les Canadiens français étaient moins scolarisés que les Noirs américains, cela découlait toujours de la Conquête. Lorsque René Lévesque a demandé à Camille Laurin de « corriger » la situation linguistique en 1976, l’actualité n’en était qu’accessoirement responsable. Cela découlait de la Conquête. En 1998, Laurin a d’ailleurs affirmé qu’il voulait que la loi « s’inscrive dans l’Histoire […], en reprenne le fil pour réparer toutes les blessures, toutes les pertes subies […]. Je voulais faire une loi qui répare, qui redresse et qui redonne confiance, fierté et estime de soi à un peuple qui tenait à sa langue, mais qui était devenu résigné ».

Aujourd’hui, en 2024, la Cour suprême du Canada refuse de traduire certains de ses jugements en français et le cabinet ministériel de Justin Trudeau est majoritairement incapable de s’exprimer dans la langue des Québécois.

D’ailleurs, si l’histoire, c’est du passé, pourquoi le français décline-t-il au pays ? C’est que l’histoire n’est pas du passé. L’histoire ne se défile jamais. L’histoire s’accroche.

Dans les prochains mois, les fédéralistes insisteront sur le caractère prétendument vieillot de l’histoire. Ils se présenteront comme la voie de l’avenir en encourageant les Québécois à regarder vers l’avant même s’ils savent très bien que le référendum volé de 1995, les difficultés que rencontre présentement la loi 21 devant les tribunaux ainsi que la Century Initiative sont autant d’événements que l’histoire continue d’engendrer dans un silence qu’il n’est pas inutile de perturber.

Mais les citoyens perplexes devant le discours historique ne sont pas dupes.

Ils savent bien que les indépendantistes ont un faible pour le passé, mais que ce qui les anime par-dessus tout, c’est un projet de société qui propose qu’on tourne le dos au statu quo, aux demi-mesures et à l’infatigable rancune.

C’est un projet tourné vers l’énergie créatrice et l’avenir.

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QOSHE - L’histoire ne se défile jamais, elle s’accroche - Rémi Villemure
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L’histoire ne se défile jamais, elle s’accroche

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25.04.2024

Paul St-Pierre Plamondon a récemment rappelé le risque d’évaporation du poids du Québec à Ottawa. Quelques jours plus tard, il a affirmé que l’histoire du Canada a été marquée par des exécutions et des déportations. Ces affirmations, tout à fait fondées, ont dérangé certains commentateurs, qui n’ont pas hésité à associer la rhétorique du chef péquiste à la « peur ».

Pablo Rodriguez, qui craint un référendum parce que cela pourrait entraîner des « chicanes de voisins », a même osé qualifier les propos de PSPP d’« inquiétants ». On notera quand même l’absurde : ce qui est épeurant et violent n’est plus l’histoire du Canada en tant que telle, mais le fait d’en parler.

La réaction des fédéralistes n’est pas étonnante. Ils manquent cruellement d’arguments depuis déjà une éternité. Jusqu’à aujourd’hui, le chantage et la peur ont été leurs meilleures armes. Ces dernières leur ont même permis de triompher en 1980 et en 1995. Ils seraient donc fous de changer de stratégie.

Mais sur les réseaux sociaux, on pouvait observer un autre type de réactions. Des citoyens, tout aussi mal à l’aise devant........

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