Au mois de mars prochain, cela fera une année que ma mère est décédée. Elle nous a quittés sereinement, à l’âge de 80 ans, au jour et à l’heure de son choix. C’était un samedi matin. Dix jours auparavant, on lui avait diagnostiqué une maladie grave et irrémédiable. Elle avait fait une demande d’aide médicale à mourir, car elle souffrait. Elle a été évaluée par plusieurs médecins. Une intervenante l’a rencontrée. Ma mère a pu donner son consentement libre et éclairé.

Ma mère était née en France. Si elle n’avait pas immigré au Québec, elle n’aurait pas pu faire ce choix. En France, le débat est encore au stade du « suicide assisté » et de l’« euthanasie ». Son pays d’adoption lui a permis de mourir dans la dignité et de mettre fin à ses souffrances de façon humaine.

Le Québec a fait un débat serein sur l’aide médicale à mourir. Il est maintenant prêt à aller de l’avant avec les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Québec demande donc à Ottawa de modifier le Code criminel canadien en conséquence. Le gouvernement Trudeau n’y a pas donné de suite. Le Bloc québécois s’est donc saisi de ce dossier et a déposé un amendement.

Je ne suis pas toujours d’accord avec les prises de position des provinces, y compris celles qui sont dirigées par des gouvernements conservateurs. Mais je respecte leur champ de compétence et les décisions de leurs assemblées législatives. Au nom de ce principe, je suis même prêt à les défendre publiquement, y compris quand je suis en désaccord sur le fond. C’est dans l’ADN de tout conservateur fédéraliste.

Ma vision du fédéralisme canadien suppose que les solutions ne proviennent pas toutes des fonctionnaires à Ottawa. Les programmes ne doivent pas nécessairement s’appliquer mur à mur partout au pays. Nous sommes un grand pays, avec des spécificités géographiques, économiques, historiques et culturelles.

Même le gouvernement libéral centralisateur de Justin Trudeau, qui empiète allègrement sur le champ de compétence des provinces, en prend acte à l’occasion. À preuve, il a reculé sur la taxe sur le carbone et il a accordé un congé de taxe sur l’huile de chauffage qui profite avant tout aux provinces de l’Atlantique. Et quand il ne le réalise pas de lui-même, il se le fait rappeler par les tribunaux, comme ce fut récemment le cas pour le décret sur l’usage du plastique unique ou la Loi sur l’évaluation d’impacts en environnement.

Si l’Alberta ou la Saskatchewan veulent adopter un règlement pour que les parents soient informés du changement de genre de leurs enfants, ce sont leurs prérogatives. Ottawa ne gère pas les écoles. S’il y a contestation, que les tribunaux tranchent.

C’est la même chose pour la loi 21 sur la laïcité au Québec. Que les élus fédéraux soient d’accord ou non avec son principe n’importe pas. Ils doivent reconnaître au Québec le droit de légiférer, et sinon, laisser les tribunaux trancher. Si la province veut utiliser la disposition de dérogation, c’est son droit également, car c’est dans la Constitution.

Mais est-ce aux patients de traîner (encore) le gouvernement en cour pour faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir alors qu’ils sont encore capables de faire un choix libre et éclairé selon le principe de la loi sur l’aide médicale à mourir ?

Idéologiquement, le Parti conservateur du Canada croit au respect des compétences provinciales. C’est sur ce postulat de base que beaucoup des prises de position des conservateurs s’appuient. Sur cela, et sur la responsabilité individuelle. Mais lorsqu’il s’agit d’une question de conscience, comme c’était le cas avec l’amendement du Bloc québécois, il n’y a pas de ligne de parti au sein du Parti conservateur. C’est ce que le résultat de ce vote a montré, mardi soir.

Huit députés conservateurs du Québec, un de l’Alberta et une de l’Ontario ont voté pour la motion du Bloc qui vise à soutenir la demande anticipée réclamée par Québec.

On ne peut pas dire la même chose des autres élus québécois à Ottawa. Alexandre Boulerice, du Nouveau Parti démocratique (NPD), n’était pas présent lors du vote. Il était cependant présent au vote subséquent. On est loin de la « déclaration du NPD de Sherbrooke de 2005 », qui stipule que « l’unité n’est pas nécessairement l’uniformité ».

Les élus libéraux du Québec ont tous voté contre, avec le gouvernement.

Que les autres provinces ne demandent pas ce changement et que cette exception ne s’applique qu’au Québec n’aurait pas signifié la fin du pays. Au contraire, cela aurait montré que notre fédéralisme fonctionne et qu’on respecte le fait qu’on n’est pas tous au même stade sur cet enjeu au Canada.

Que le Canada ait besoin de plus de temps, c’est compréhensible. Dans l’intervalle, Ottawa devrait tout de même respecter l’ouverture aux demandes anticipées réclamée par Québec. Ce n’est pas lui qui gère les hôpitaux. Les élus fédéraux du Québec se devaient d’ailleurs de défendre la demande du Québec. Les libéraux fédéraux du Québec et le seul député du NPD ont préféré lui dire non. On s’en souviendra.

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C’est Québec qui gère ses hôpitaux, pas Ottawa

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16.02.2024

Au mois de mars prochain, cela fera une année que ma mère est décédée. Elle nous a quittés sereinement, à l’âge de 80 ans, au jour et à l’heure de son choix. C’était un samedi matin. Dix jours auparavant, on lui avait diagnostiqué une maladie grave et irrémédiable. Elle avait fait une demande d’aide médicale à mourir, car elle souffrait. Elle a été évaluée par plusieurs médecins. Une intervenante l’a rencontrée. Ma mère a pu donner son consentement libre et éclairé.

Ma mère était née en France. Si elle n’avait pas immigré au Québec, elle n’aurait pas pu faire ce choix. En France, le débat est encore au stade du « suicide assisté » et de l’« euthanasie ». Son pays d’adoption lui a permis de mourir dans la dignité et de mettre fin à ses souffrances de façon humaine.

Le Québec a fait un débat serein sur l’aide médicale à mourir. Il est maintenant prêt à aller de l’avant avec les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Québec demande donc à Ottawa de modifier le Code criminel canadien en conséquence. Le gouvernement Trudeau n’y a pas donné de suite. Le Bloc québécois s’est donc saisi de ce dossier et a déposé un amendement.

Je ne suis pas toujours d’accord avec les prises de position des provinces, y compris celles qui sont dirigées par des gouvernements conservateurs. Mais je respecte leur champ de compétence et........

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