Depuis le début de la crise du logement, nous avons nommé de nombreux obstacles au développement urbain : inflation, pénurie de main-d’oeuvre et cloisons improductives dans la construction, bureaucratie excessive… Toutefois, l’éléphant dans la pièce demeure la beauté, un aspect crucial de l’acceptabilité dont nous parlons trop peu.

D’emblée, soulignons un fait méconnu et sidérant : avec le zonage actuel, il serait impossible de reproduire les quartiers les plus attrayants du Québec. En effet, des lieux emblématiques comme le Plateau Mont-Royal ou le Vieux-Québec, dont la beauté ravit ses résidents et attire des foules de touristes, ne pourraient pas émerger aujourd’hui. Ils seraient bloqués en vertu de restrictions techniques comme les usages permis, le nombre d’étages ou l’implantation au sol. Le zonage est souvent perçu comme un outil de protection salutaire, mais lorsqu’il se révèle trop restrictif, il peut également étouffer la créativité et empêcher la reproduction de milieux vivants — et magnifiques !

Dans les discussions qui animent les comités consultatifs d’urbanisme, la beauté n’est jamais nommée explicitement, écartée sous prétexte qu’il s’agit d’un critère trop subjectif. Pourtant, c’est principalement à travers ce prisme familier que les citoyens évaluent les projets. Si la beauté d’un style architectural nécessite une explication, il est probable qu’elle ne soit pas évidente. Au fond, la beauté constitue un critère plus objectif qu’on le croit et qui, lorsque négligé, s’érige en obstacle majeur à l’acceptabilité sociale.

Ironiquement, lors des consultations publiques, les débats civiques se cristallisent souvent autour du nombre d’étages. Cependant, un étage supplémentaire transforme parfois un projet banal en un ouvrage distinctif. L’explication est simple et comptable. Le fait de rentabiliser l’espace vertical donne les moyens aux promoteurs de privilégier des matériaux de qualité, de jouer avec les volumes et d’inclure des éléments architecturaux intéressants sur les façades. Bref, cela permet de s’attarder au souci du détail. À l’inverse, trop limiter la hauteur favorise l’émergence de blocs monolithiques, sans verdissement et sans marge pour l’embellissement.

S’ensuit un cercle vicieux difficile à briser. La laideur crée un effet délétère durable, une appréhension indélogeable face aux nouveaux projets de développement.

Contrecarrons cette tendance en favorisant des projets qui améliorent non seulement la qualité de vie actuelle grâce à une architecture attrayante et une mixité d’usages, mais qui honorent aussi nos engagements envers les générations futures. Comme l’a affirmé Maxime Pedneaud-Jobin : « ous construisons pour cent ans » Le patrimoine n’est pas qu’un vague écho du passé, c’est aussi un legs à façonner, qu’on espère digne d’être protégé.

Nous oublions parfois à quel point le fait d’être plongé dans un beau cadre, vert et luxuriant influence notre bien-être. À cet égard, l’iniquité environnementale entre quartiers riches et pauvres est fréquemment nommée. Nous évoquons moins souvent le déséquilibre de la beauté. La pénurie de logements abordables qui sévit actuellement constitue une occasion en or de rétablir l’équilibre. À travers le monde, plusieurs exemples attestent qu’il est possible de construire des logements qui sont à la fois abordables et esthétiques. Le grand chantier qui débute chez nous devrait constituer une preuve supplémentaire.

L’urbanisme divisera toujours, car il siège au coeur des tensions entre l’individuel et le collectif. D’ailleurs, aux États-Unis, de curieux acronymes désignent les deux camps du phénomène « Pas dans ma cour », soit les NIMBY (« not in my backyard »), qui abhorrent le développement, et les YIMBY (« yes in my back yard »), qui l’applaudissent. Manifestement, il semble qu’un troisième groupe pourrait compléter la nomenclature : les « picky YIMBY », c’est-à-dire les gens qui se montrent a priori favorables au développement, mais exigent de hauts standards, sans compromis.

Le développement s’avère inéluctable, mais les bâtiments intéressants ne le sont pas. Embellissons le développement plutôt que de nous y opposer systématiquement ou de le soutenir aveuglément.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

QOSHE - La beauté, clé négligée de l’acceptabilité - Virginie Dostie-Toupin
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La beauté, clé négligée de l’acceptabilité

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24.04.2024

Depuis le début de la crise du logement, nous avons nommé de nombreux obstacles au développement urbain : inflation, pénurie de main-d’oeuvre et cloisons improductives dans la construction, bureaucratie excessive… Toutefois, l’éléphant dans la pièce demeure la beauté, un aspect crucial de l’acceptabilité dont nous parlons trop peu.

D’emblée, soulignons un fait méconnu et sidérant : avec le zonage actuel, il serait impossible de reproduire les quartiers les plus attrayants du Québec. En effet, des lieux emblématiques comme le Plateau Mont-Royal ou le Vieux-Québec, dont la beauté ravit ses résidents et attire des foules de touristes, ne pourraient pas émerger aujourd’hui. Ils seraient bloqués en vertu de restrictions techniques comme les usages permis, le nombre d’étages ou l’implantation au sol. Le zonage est souvent perçu comme un outil de protection salutaire, mais lorsqu’il se révèle trop restrictif, il peut également étouffer la créativité et empêcher la reproduction de milieux vivants — et magnifiques !

Dans les discussions qui animent les comités consultatifs d’urbanisme, la beauté n’est jamais nommée explicitement,........

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