J’ai travaillé un temps dans un lycée public, en périphérie, qui ne brille pas par sa réputation – appelons-le A.
A 91, son indice de position sociale (l’IPS donne une idée du statut social des élèves dans un établissement) est inférieur à la moyenne nationale, mais nettement supérieur à celui des écoles primaires et collèges dans le voisinage.

C’est un fait, A. recrute les élèves les plus favorisés du quartier, ceux qui réussissent le mieux. Par où commencer pour vous parler de A. ? Les problèmes liés à l’islam radical ? Les discussions sans fin pour déterminer où finit la robe longue, où commence l’abaya ? Cette élève qui a interrompu sa scolarité pour cause de mariage ? Son mariage, veux-je dire, et cette rectification me laisse en tête l’image glaçante d’une emmurée vive.

J’ai cependant plein de bons souvenirs à A. : Leila, les joues en feu, qui déclame du Olympe de Gouges : "Femme ! réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers." Adam qui traverse la cour, victorieux : "J’ai eu 11 à l’écrit du Bac de français !". C’est sûr, dans cet établissement les résultats au bac ne crèvent pas le plafond. Les ambitions des élèves, non plus.

Il faut pouvoir se le payer, le luxe de l’ambition, des études longues, du beau diplôme de médecin ou magistrat, et à A., beaucoup n’en ont pas les moyens, et à vrai dire, n’y penseraient même pas.

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La chronique du temps présent d'Astrid Eliard : "Les rubans dorés des fêtes de fin d'année, ça ne va pas être possible"

Si on marche trois kilomètres de la périphérie vers le centre, on arrive à un établissement d’un tout autre genre, appelons-le B. Privé catholique sous contrat avec l’Etat. IPS à 142 (le maximum étant 185). J’y ai fait passer des oraux du bac de français l’année dernière, un peu ébaubie, un peu lassée, je dois dire, par l’excellence systématique des candidats. Je me suis demandé s’il y avait un truc, une caméra cachée, peut-être ?

Mais bon sang, d’où ils sortaient, ces gamins de seize, dix sept ans, qui auraient bien été fichus de traduire Ruy Blas en grec ? Ils enfilaient les homéotéleutes et les aposiopèses comme des perles.

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Le "truc", c’est que "les enfants vivent au même moment dans la même société mais pas dans le même monde", pour reprendre l’introduction d’Enfances de classe, de Bernard Lahire. Le "truc", c’est que tant que des ministres dédaigneront l’enseignement public au titre qu’il n’est pas assez valable ou performant (enseignement public qu’ils contribuent à assécher et appauvrir), alors on formera la jeunesse ghetto contre ghetto. Peut-être le monde est-il plus complexe, moins prévisible, que ne l’envisageait Darwin, en attendant, je me demande comment tout cela pourrait se terminer entre les élèves de A. et les élèves de B.

Astrid Eliard

QOSHE - La chronique du temps présent d'Astrid Eliard : "Pas de chance pour l’égalité des chances" - Astrid Eliard
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La chronique du temps présent d'Astrid Eliard : "Pas de chance pour l’égalité des chances"

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21.01.2024

J’ai travaillé un temps dans un lycée public, en périphérie, qui ne brille pas par sa réputation – appelons-le A.
A 91, son indice de position sociale (l’IPS donne une idée du statut social des élèves dans un établissement) est inférieur à la moyenne nationale, mais nettement supérieur à celui des écoles primaires et collèges dans le voisinage.

C’est un fait, A. recrute les élèves les plus favorisés du quartier, ceux qui réussissent le mieux. Par où commencer pour vous parler de A. ? Les problèmes liés à l’islam radical ? Les discussions sans fin pour déterminer où finit la robe longue, où commence l’abaya ? Cette élève qui a interrompu sa scolarité pour cause de mariage ? Son mariage, veux-je dire,........

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