Très récemment, j’ai découvert l’existence de la Turritopsis dohrnii. Si vous abonnés à Sciences et Avenir vous pouvez sauter les premières lignes de la chronique, on se retrouve un peu plus bas. Pour les autres, sachez que la Turritopsis dohrnii est une toute petite méduse (1 cm de diamètre). Ombrelle translucide. Estomac rouge vif. Et des dizaines de tentacules (le nombre peut aller jusqu’à 90 chez les individus adultes) qui forment un délicat tutu frangé.
La Turritopsis dohrnii, tout comme sa cousine la Turritopsis nutricula, est capable d’inverser son processus de vieillissement en remplaçant ses vieilles cellules fatiguées par des cellules toutes neuves. Ce qui fait d’elle un être biologiquement immortel. C’est marrant comme, parlant de Turritopsis dohrnii, les auteurs, experts, journalistes se laissent toujours aller à un peu de sensationnalisme, avec une phrase du style : « Au jour d’aujourd’hui (sic), l’immortalité n’est qu’un doux rêve pour l’être humain. »

Moi, ça me fait pas du tout rêver l’immortalité. Au bout de quatre cents ans, vous pensez pas qu’on trouverait l’amour franchement très surestimé ?

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Et je ne parle même pas de l’avion, du saut à l’élastique, du baba au rhum, gadgets futiles pour une âme millénaire. Imaginez une vie où il n’y aurait plus de première fois. Surtout, je crois savoir à quoi ça ressemble, l’immortalité. Une pièce de 12 mètres carrés, souvent plongée dans la pénombre. Tout au fond, une toute petite, une très vieille dame assise sur un fauteuil lit le même livre depuis quatre ans. Une fois par mois, Astrid Eliard nous livre son regard sur le temps présent.
Ma grand-mère a cent-deux ans, et parfois je me demande s’il se pourrait qu’elle soit éternelle. Ça expliquerait son secret pour garder ses orchidées (même quand la plante semblait tout à fait morte, une fleur finissait toujours par récompenser ses soins patients). Ma grand-mère ne sait plus trop où elle est, elle se partage entre plusieurs lieux, plusieurs temporalités : chez elle et à l’Ehpad, hier (et parfois un très vieil hier) et aujourd’hui. Il lui reste peu de choses dans son tout petit univers, et même ses souvenirs, si précieux, s’en vont, l’un après l’autre. Les aides-soignantes me vantent son caractère, sa force. « Parfois on a peur de se prendre un coup de canne ! » Tu parles. La vie, à ce stade, n’a pas cette fougue, cette vigueur.

La chronique du temps présent de François Morel : "Un peu d’amour dans ce monde de brutes, merci Michel, merci Sandrine"

La vie, à ce stade, c’est le même jour qui se répète à l’infini. Ma grand-mère me dit : « Je suis courageuse, tu sais. » Mais je ne sais pas de quel courage elle parle, si c’est celui d’affronter la mort ou celui de continuer à vivre, encore et encore, alors que l’obscurité écrase un peu plus sa petite chambre. Je me demande comment tout cela va se terminer.

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La chronique du temps présent d'Astrid Eliard : "Visite à une immortelle"

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31.03.2024

Très récemment, j’ai découvert l’existence de la Turritopsis dohrnii. Si vous abonnés à Sciences et Avenir vous pouvez sauter les premières lignes de la chronique, on se retrouve un peu plus bas. Pour les autres, sachez que la Turritopsis dohrnii est une toute petite méduse (1 cm de diamètre). Ombrelle translucide. Estomac rouge vif. Et des dizaines de tentacules (le nombre peut aller jusqu’à 90 chez les individus adultes) qui forment un délicat tutu frangé.
La Turritopsis dohrnii, tout comme sa cousine la Turritopsis nutricula, est capable d’inverser son processus de vieillissement en remplaçant ses vieilles cellules fatiguées par des cellules toutes neuves. Ce qui fait d’elle un être biologiquement immortel. C’est marrant........

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