Je me souviens de mon émotion quand j’ai vu pour la première fois les documentaires de Raymond Depardon concernant les paysans cévenols (*). Ces derniers indiens qu’il avait filmés pendant une décennie n’avaient rien à envier à ceux que je connais. Ceux-là n’auraient pu faire barrage sur un autoroute, ou se rendre à la Capitale. Leur antique Zetor, Renault, ou Mc McCormick n’aurait jamais tenu le choc ! Ils en auraient simplement parlé entre eux, de la crise agricole, au bistrot de Grizac, solidaires de leurs camarades, devenus pour beaucoup des serfs de la Grande Distribution et des esclaves de l’Europe.

Méfiants par nature, ils n’ont pas suivi la folle marche du progrès. Ils se sont tenus autant que possible à l’écart, si bien qu’on a fini par les oublier.

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À l’origine, fonder une politique agricole commune était une belle idée. Je crains que désormais, la part commune ne s’apparente plus qu’à une forme de désespoir du monde paysan. Les traités de libre-échange ont bouleversé les équilibres. Les Politiques n’ont plus la main depuis longtemps. Seuls les industriels mènent la danse, faisant état dans les médias de vertus qu’ils n’ont pas. Le consommateur, quant à lui, fait valoir son droit à consommer en masse des fruits et des légumes en toutes saisons provenant de pays où l’on est moins regardant sur le droit du travail et l’utilisation de produits phytosanitaires.

Sans parler des animaux élevés en batterie, guère plus vivants dans une cage qu’en barquette, qui font le tour de la planète en classe éco, avant de s’entasser dans les rayons des supermarchés. Nul besoin de préciser qui, dans l’histoire, est le dindon de la farce.

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La chronique du temps présent de Franck Bouysse : "Nous valons mieux que la colère, nous valons mieux que la haine"

Nombre d’agriculteurs censés nourrir la population ne parviennent même plus à nourrir leur propre famille. Ils ont pourtant joué le jeu, produit ce qu’on leur demandait de produire, augmenté les rendements, investi, emprunté des sommes considérables auprès de banquiers alors affables, qui maintenant, en grande majorité, les traitent comme des pestiférés. Ils ont pourtant joué le jeu, sans imaginer un seul instant qu’il s’agissait d’un jeu de dupes.

Acculés comme des bêtes agonisantes, certains préfèrent rejoindre prématurément cette terre en laquelle ils croyaient tant.

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Loin d’être moralisatrice, cette chronique aimerait juste rappeler qu’on ne peut pas soutenir la révolte paysanne et en même temps participer, de près ou de loin, à l’effondrement de notre agriculture. On ne peut pas tout mettre sur le dos de la baisse du pouvoir d’achat. Nous devons réfléchir à nos actes, nous sommes aussi en partie responsables de nos choix de vie. Lorsque Depardon demandait à Paul Argaud, agriculteur en Haute-Loire, s’il s’était laissé pousser les cheveux en signe de révolte, ce dernier avait simplement répondu : "Faut croire." Sa révolte solitaire était trop silencieuse pour être entendue. Au-delà de leur évidente dignité, à nous de croire qu’il demeure autre chose à sauver, pour lui et pour tous nos paysans de France.

(*) Profils paysans : Série documentaire de Raymond Depardon.

Franck Bouysse

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La chronique du temps présent de Franck Bouysse : "Les révoltés du monde paysan"

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03.03.2024

Je me souviens de mon émotion quand j’ai vu pour la première fois les documentaires de Raymond Depardon concernant les paysans cévenols (*). Ces derniers indiens qu’il avait filmés pendant une décennie n’avaient rien à envier à ceux que je connais. Ceux-là n’auraient pu faire barrage sur un autoroute, ou se rendre à la Capitale. Leur antique Zetor, Renault, ou Mc McCormick n’aurait jamais tenu le choc ! Ils en auraient simplement parlé entre eux, de la crise agricole, au bistrot de Grizac, solidaires de leurs camarades, devenus pour beaucoup des serfs de la Grande Distribution et des esclaves de l’Europe.

Méfiants par nature, ils n’ont pas suivi la folle marche du progrès. Ils se sont tenus autant que possible à l’écart, si bien qu’on a fini par les oublier.

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À l’origine, fonder une politique agricole commune était........

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