Je suis né voici plus d’un demi-siècle au village des Trois Roches, à l’ouest de la Corrèze, terre ancestrale des Lémovices, baptisée dans le sang après une révolution. Jadis, le pays était réputé pour la fabrication de ses couades, de grandes louches en bois dont on se servait pour boire l’eau de source ou de fontaine. Les panneaux indiquant les lieux-dits, La croix du loup, Le trou du loup, La pierre aux loups, rappellent un temps où des regards de braise incendiaient la nuit et attisaient les peurs.

Ce pays se parcourt en empruntant des routes de campagne, des chemins creux, des sentes d’animaux sauvages, des bois et des forêts, des prairies verdoyantes. Ici, la nature a encore voix au chapitre. Les trains à grande vitesse ne passent pas, l’aéroport de Brive est fréquenté par de petits coucous et quelques rares grands oiseaux voyageurs.

Il y a des inconvénients qui surpassent certains avantages. Les gens pressés n’ont rien à offrir, si ce n’est un émerveillement factice, une sincérité de façade.

empty (empty)

On dit les gens du cru avares de leurs mots. Taiseux est un terme trop réducteur pour exprimer ce qu’ils sont. Quand ils aiment, ils donnent sans compter, leur chemise et leur pain, tout, sauf les mots qu’ils ne possèdent pas, on ne leur a pas appris. Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte, disait Charles Péguy.

Lorsque j’étais gamin, la neige tombait chaque année à partir de décembre et tenait au sol des semaines.

La chronique du temps présent : Franck Bouysse dit toute "la vérité sur Léon Napo"

Dans ce temps ralenti, la terre s’amendait, de quoi faire reverdir les pâtures au printemps plus efficacement que les cristaux de nitrate vendus à la coopérative agricole. On pensait ce rythme immuable. Nous glissions sur des luges de fortune faites de sacs garnis de foin. Lorsque le soir venait, on se réfugiait près d’un feu de cheminée, assis sur le banc du cantou, pendant que frémissait une soupe à l’oignon sur la cuisinière à bois. Les enfants parlaient peu.

Les yeux brillants, nous écoutions les adultes raconter de longues épopées, vécues ou inventées, avec ce sourire aux lèvres qui ne parvenait pas à effacer la nostalgie qui les gagnait toujours.

empty (empty)

Bien sûr, on a lifté la terre par endroit à coups répétés d’outils, botoxé son visage à grands renforts d’engrais et de pesticides, stérilisé des sols, détruit des équilibres millénaires en quelques décennies. Mais malgré tout, je garde au plus profond de moi le souvenir de ce monde apaisé, sans clôtures ni frontières, sans considérations de terroir ou de territoire, une terre universelle où le silence avait encore son mot à dire, où l’on savait ce qu’il en coûte de trahir un ancêtre, où respecter les héritages et les traditions pouvaient justifier une existence. Le jeu n’en valait pas toujours la chandelle, mais une flamme, même vacillante, valait mieux que pas de feu du tout.

Franck Bouysse

QOSHE - Pour la chronique du temps, la plume de Franck Bouysse revient "dans ce temps ralenti" de décembre... - Franck Bouysse
menu_open
Columnists Actual . Favourites . Archive
We use cookies to provide some features and experiences in QOSHE

More information  .  Close
Aa Aa Aa
- A +

Pour la chronique du temps, la plume de Franck Bouysse revient "dans ce temps ralenti" de décembre...

37 0
17.12.2023

Je suis né voici plus d’un demi-siècle au village des Trois Roches, à l’ouest de la Corrèze, terre ancestrale des Lémovices, baptisée dans le sang après une révolution. Jadis, le pays était réputé pour la fabrication de ses couades, de grandes louches en bois dont on se servait pour boire l’eau de source ou de fontaine. Les panneaux indiquant les lieux-dits, La croix du loup, Le trou du loup, La pierre aux loups, rappellent un temps où des regards de braise incendiaient la nuit et attisaient les peurs.

Ce pays se parcourt en empruntant des routes de campagne, des chemins creux, des sentes d’animaux sauvages, des bois et des forêts, des prairies verdoyantes. Ici, la nature a encore voix au chapitre. Les trains à grande vitesse ne passent pas,........

© Le Populaire du Centre


Get it on Google Play