L’avenir n’est pas l’affaire des historiens. Patrick Boucheron s’y est pourtant d’une certaine manière risqué dans une brève brochure récemment parue au Seuil, Le temps qui reste. Qui reste avant quoi? «Une catastrophe lente à venir», écrit le professeur au Collège de France. «L’événement historique se fait parfois si longtemps pressentir que lorsqu’il survient, c’est pour rendre manifeste un changement qui a déjà eu lieu.» Son sujet implicite et explicite est l’irrésistible montée de l’extrême droite en France et en Europe, et notre aveuglement sur sa maturation et ses conséquences. Mais sa méthode vaut aussi pour d’autres traumatismes. L’Ukraine ou le Proche-Orient, par exemple, avec cette complication, pour ces crises oppressantes, qu’elles sont fracturées en récits divergents, mais se dévoilent peu à peu, vues d’Europe, en désastres.

L’Ukraine, après 1991, c’est l’histoire d’une émancipation entravée, d’abord reconnue dans ses frontières, Crimée comprise, par la Russie. Les entraves sont venues avec l’affermissement du pouvoir de Vladimir Poutine, jusqu’à la fracture de 2014: le soulèvement populaire de Maïdan à Kiev, qui a chassé le président ami, est décrit à Moscou comme un coup d’Etat fomenté de longue date par les Etats-Unis et leurs complices européens, utilisant comme chair à canon (quelques dizaines de morts) des militants ultranationalistes, les célèbres «nazis» – thèse complotiste largement reprise dans nos contrées. La punition russe est venue sous forme d’invasion et d’annexion de la Crimée, puis de mobilisation d’une insurrection séparatiste, encadrée et armée, dans le Donbass. La suite, en huit ans, c’est la tentative impuissante des Ukrainiens de récupérer leur territoire perdu. Jusqu’à la déflagration du 24 février 2022.

QOSHE - Deux guerres, notre défaite - Alain Campiotti
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Deux guerres, notre défaite

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11.03.2024

L’avenir n’est pas l’affaire des historiens. Patrick Boucheron s’y est pourtant d’une certaine manière risqué dans une brève brochure récemment parue au Seuil, Le temps qui reste. Qui reste avant quoi? «Une catastrophe lente à venir», écrit le professeur au Collège de France. «L’événement historique se fait parfois si longtemps pressentir que lorsqu’il survient, c’est pour rendre manifeste un changement qui a déjà eu........

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