D’une rapidité et d’une ampleur inouïes, le resserrement monétaire entrepris il y a deux ans a rebattu les cartes de la gestion dite alternative. Des fonds spéculatifs aux crypto monnaies en passant par le private equity et la dette d'entreprise, Le Temps consacre son dossier financier mensuel à cette thématique, très prisée des investisseurs.

Les marchés privés (capital-investissement, infrastructure, dette privée et immobilier) ont continué à croître en 2023, affichant une belle résilience. Cependant, le durcissement des conditions de financement par la hausse des taux d’intérêt et les incertitudes macroéconomiques ont entraîné un ralentissement de l’activité, particulièrement dans le secteur immobilier. Si la classe d’actifs a, dans son ensemble, été sensible aux turbulences de l’environnement actuel et à la hausse rapide des taux, la dette privée a bénéficié de ce contexte de marché en offrant des perspectives de rendement attrayantes pour les prêteurs.

La dette privée recouvre les prêts accordés par des institutions financières, autres que des banques, à des entreprises qui n’ont pas la taille suffisante pour accéder aux marchés boursiers. Elle constitue une diversification intéressante vis-à-vis du marché obligataire, traditionnellement liquide, pour les investisseurs ayant un appétit pour les placements à long terme et une tolérance à l’illiquidité.

La dette privée est entrée dans une nouvelle ère. Le marché a en effet connu une accélération après la crise financière de 2008, qui a entraîné un durcissement de la réglementation bancaire. Les sources traditionnelles de financement se sont ainsi progressivement raréfiées pour les petites et moyennes entreprises, créant un appel d’air pour les fonds de dette privée. Celle-ci permet, en outre, de répondre aux besoins spécifiques de financement des entreprises avec plus de souplesse de structuration et une prise de décision plus rapide.

Au cours des dix-huit derniers mois, les conditions d’octroi de prêts se sont tendues, y compris pour les grandes entreprises, qui se tournent donc elles aussi de plus en plus vers la dette privée pour se financer. Air France a ainsi levé 2 milliards d’euros de dette en 2023, sans passer par une émission obligataire ou un financement bancaire, mais auprès d’un fonds de dette privée. BASF et Robert Bosch ont également annoncé, fin 2023, faire appel à la dette privée pour un montant de 2,7 milliards d’euros.

La dette privée est aujourd’hui une classe d’actifs mature et une source de financement de plus en plus importante pour les entreprises, avec près de 1500 milliards de dollars d’actifs sous gestion à fin 20221. Rien qu’au titre de l’année 2023, la collecte des fonds de dette privée devrait dépasser les 200 milliards de dollars.

Tous les segments de la dette privée sont aujourd’hui concernés par l’appétence des investisseurs et des entreprises. Initialement, la dette privée finançait des opérations requérant une expertise poussée dans l’analyse du risque, en mettant en place de la dette mezzanine (dette dont le remboursement est subordonné à celui d’une dette senior), en finançant des rachats à effet de levier (LBO) ou en restructurant la dette de sociétés en difficulté. Désormais, la palette des instruments de dette privée s’est fortement élargie pour couvrir par exemple la dette senior (dette remboursée en priorité), les financements d’infrastructure ou la dette à impact.

La dette privée offre des propriétés de diversification de portefeuille, une faible volatilité et des rendements ajustés au risque prévisibles et attractifs, en particulier dans l’environnement actuel de taux d’intérêt toujours élevés. En effet, au cours de la dernière décennie, la dette privée a affiché des rendements excédentaires de 3 à 6% en général par rapport aux obligations cotées à haut rendement et aux prêts syndiqués par des banques. Cette prime se justifie par la volonté des emprunteurs de payer davantage pour s’assurer de l’exécution des prêts et bénéficier de conditions sur mesure, permises par les gérants de dette privée.

De surcroît, les fonds de dette privée accordent une certaine protection à leurs investisseurs, en insérant des conditions supplémentaires, appelées «covenants», ou clauses de sauvegarde, dans les contrats de prêt aux entreprises visant à garantir les droits du prêteur et à prévenir les impayés. Grâce à cette proximité avec les entreprises et l’accès à des informations qui ne sont pas publiques, les fonds de dette privée peuvent intervenir rapidement lorsque les flux de trésorerie se compliquent et prendre des mesures par anticipation afin d’éviter un potentiel défaut.

Il faut néanmoins noter que le contexte actuel de taux élevés et de ralentissement de la croissance pourrait peser sur les flux de trésorerie disponible des entreprises. Les défauts de paiement devraient augmenter au cours des prochains trimestres, même s’ils se maintiennent actuellement à un niveau faible (1,41% au 3e trimestre 2023 selon l’indice de référence Proskauer). Cela pourrait représenter un véritable test pour ce segment de marché, forçant certains gérants de dette privée à potentiellement devoir prendre les commandes des entreprises auxquelles ils avaient prêté.

Cependant, en privilégiant des clauses contractuelles plus strictes et une sélection rigoureuse des gérants des fonds de dette privée, 2024 devrait offrir de bonnes opportunités pour les investisseurs de cette classe d’actifs.

QOSHE - Dette privée: l’âge de la maturité? - Aurélie Maillard
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Dette privée: l’âge de la maturité?

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28.01.2024

D’une rapidité et d’une ampleur inouïes, le resserrement monétaire entrepris il y a deux ans a rebattu les cartes de la gestion dite alternative. Des fonds spéculatifs aux crypto monnaies en passant par le private equity et la dette d'entreprise, Le Temps consacre son dossier financier mensuel à cette thématique, très prisée des investisseurs.

Les marchés privés (capital-investissement, infrastructure, dette privée et immobilier) ont continué à croître en 2023, affichant une belle résilience. Cependant, le durcissement des conditions de financement par la hausse des taux d’intérêt et les incertitudes macroéconomiques ont entraîné un ralentissement de l’activité, particulièrement dans le secteur immobilier. Si la classe d’actifs a, dans son ensemble, été sensible aux turbulences de l’environnement actuel et à la hausse rapide des taux, la dette privée a bénéficié de ce contexte de marché en offrant des perspectives de rendement attrayantes pour les prêteurs.

La dette privée recouvre les prêts accordés par des institutions financières, autres que des banques, à des entreprises qui n’ont pas la taille suffisante pour accéder aux marchés boursiers. Elle constitue une diversification intéressante vis-à-vis du marché obligataire, traditionnellement liquide, pour les investisseurs ayant un appétit pour les placements à long terme et une........

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