Les monstres ont plein de bons côtés. D’abord, ils sont par nature une espèce rare, exceptionnelle. Ensuite, on peut projeter sur eux notre part collective d’ombre. On se les figure rôdant sous un abri de fortune, dans l’obscurité d’une nuit sans lune: les monstres ont un immense avantage – ils ne nous ressemblent jamais. Ce qui est quand même bien pratique quand on parle de violences domestiques.

Les chiffres sont néanmoins sans appel et nous renvoient un reflet glaçant. En Suisse, une femme est tuée par un parent, conjoint ou ex-conjoint toutes les deux semaines en moyenne. En 2022, près de 20 000 infractions de violences domestiques ont été enregistrées par la police, selon les chiffres de l’OFS, commises par des hommes dans leur immense majorité (quelques rares femmes sont concernées). Loin des clichés monstrueux, ces individus sont souvent socialement bien intégrés. «Personne n’aurait imaginé.»

On a beaucoup parlé, ces dernières années, des victimes. Leur accueil et leur écoute sont absolument nécessaires. La prise en charge des auteurs de violences reste cependant la pierre angulaire d’une société qui lutte activement contre ces violences, en ce qu’elle permet de prévenir, dans le meilleur des cas, passages à l’acte et récidives. Dans ce monde post-#MeToo, une autre libération de la parole est en train de s’opérer: la leur. A la faveur de la multiplication de projets pilotes et groupes de travail, ceux qui sortent du déni commencent à se raconter dans des livres, des podcasts, des expositions. Chercher à comprendre n’est pas tenter de justifier.

Ils sont chef d’entreprise, retraité, étudiant, employé d’agence bancaire, chauffeur poids lourds, coiffeur ou intérimaire. Pères, pour la plupart. Mille et une circonstances séparent leurs destins, leur statut, pourtant tous se sont retrouvés en prison pour des faits similaires. Leur dénominateur commun? Leur mal-être, leur solitude, leur idée fausse de ce que représente «avoir une femme» et «être un homme». Ne pas parler de ses problèmes – surtout pas à un psy. Noyer sa vie intérieure dans l’alcool. Certains n’ont compris qu’en prison qu’ils étaient en dépression.

Comment en est-on arrivé là? S’ils sont individuellement responsables de leurs actes, notre manque collectif d’introspection n’a rien arrangé. Au-delà de la seule punition des auteurs de violences, exigeons à la fois un suivi des individus en détresse et un changement de paradigme sociétal. Il est temps de questionner les biais sexistes de l’éducation, d’accompagner les jeunes garçons, de regarder en face les problématiques de santé mentale.

Rejeter les hommes violents dans la plus complète altérité sans aller à la racine du problème est encore une fois les réduire à leurs pulsions et tomber dans le piège du patriarcat. Mais quoi qu’on en dise, les monstres n’existent pas.

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QOSHE - Les monstres n’existent pas - Célia Héron
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Les monstres n’existent pas

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25.11.2023

Les monstres ont plein de bons côtés. D’abord, ils sont par nature une espèce rare, exceptionnelle. Ensuite, on peut projeter sur eux notre part collective d’ombre. On se les figure rôdant sous un abri de fortune, dans l’obscurité d’une nuit sans lune: les monstres ont un immense avantage – ils ne nous ressemblent jamais. Ce qui est quand même bien pratique quand on parle de violences domestiques.

Les chiffres sont néanmoins sans appel et nous renvoient un reflet glaçant. En Suisse, une femme est tuée par un parent, conjoint ou ex-conjoint toutes les deux semaines en moyenne. En 2022, près de 20 000 infractions de violences domestiques ont été enregistrées par la police, selon les chiffres de l’OFS, commises par des hommes........

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