Par lucidité ou par pessimisme, je l’ignore, je ne me faisais guère d’illusion: même si elles sont inscrites dans les statuts ou en tête du programme de nombreux partis, la liberté et la responsabilité sont des valeurs fondamentales qui ne s’invitent que peu souvent au cœur des débats parlementaires. Les places de leurs défenseurs au sein de l’hémicycle sont vacantes depuis longtemps et personne ne semble réellement s’y intéresser. Malgré un probable inconfort, je vais risquer, au moins un temps, d’occuper un de ces sièges, le plus petit pour commencer.

La liberté des uns ne s’arrête plus là où commence celle des autres. La célèbre formule de John Stuart Mill est devenue désuète. La liberté est désormais bornée. Ce n’est plus la liberté de l’autre qui compte, ce qui importe, c’est le seul respect de la règle. L’Etat autorise, rarement. L’Etat interdit, souvent. L’Etat doit imposer ce qui est bien, l’Etat doit prohiber ce qui est mal. Il est attendu de l’élu qu’il perpétue ce rituel politique. Peu me chaut, je n’exclus donc pas de décevoir certaines attentes.

Sans liberté, la responsabilité individuelle n’existe plus. La mise en place d’un Etat, détenteur exclusif du bien et du mal, qui dicte en toutes choses une ligne de conduite, supprime le libre arbitre et vide de sens la responsabilité individuelle. Celui qui n’a plus de libre arbitre dans une prise de décision ne peut pas être tenu d’assumer les conséquences de ses actes. Seul subsiste le devoir de respecter la règle. Le risque d’un Etat omnipotent, qui induit une déresponsabilisation croissante des individus dans tous les domaines de la vie, se réalise progressivement.

Parfois, la déresponsabilisation de l’individu par l’Etat, et plus encore par la classe politique, est souvent insidieuse. Même si dans le cas particulier, l’initiative première a été celle du peuple, les débats sur la révision partielle de la loi sur les produits du tabac, qui vise à supprimer toute publicité atteignant les jeunes, en sont une caricaturale démonstration. Que ceux-ci se déroulent de surcroît le lendemain d’un autre débat destiné à assurer le droit de vote à 16 ans, rend la situation encore plus cocasse.

En effet, les jeunes, dès 16 ans, devraient avoir leur mot à dire en ce qui concerne leur avenir. Ils témoigneraient, par leur engagement politique de plus en plus marqué, une forte connaissance des sujets qui les préoccupent. Ils démontreraient, par leur capacité d’analyse et leur esprit critique, une conscience politique suffisante pour faire entendre leur voix et participer aux décisions majeures de notre pays. Et cela surtout, ajoutent les promoteurs du vote dès 16 ans, lorsqu’il s’agit de décisions qui impactent durablement leur avenir. Les jeunes sauraient, aussi bien que leurs aînés et en toute connaissance de cause, défendre leurs idées pour les thèmes qui les concernent: la protection de l’environnement et le changement climatique, la politique énergétique ou encore… la santé.

Aussi, un jeune de 17 ans serait à même de se prononcer valablement sur des objets politiques de santé publique mais serait incapable, dans le même temps, ne serait-ce que subrepticement, d’être confronté à la moindre publicité en faveur d’une cigarette électronique.

A la vision d’une photo d’un paquet de cigarette de couleurs rouge et blanc,
la responsabilité individuelle d’un jeune de 17 ans disparaît immédiatement, abruptement. L’Etat se substitue à sa capacité de discernement. Comme souvent, l’Etat a interdit. L’Etat sait à sa place. L’Etat doit lui imposer ce qui est bien et prohiber ce qui est mal. Et, pour paraphraser Molière, «Couvrez-moi ce cigare cubain que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées/Et cela fait venir de coupables pensées».

Enfin, j’ai l’avantage, en écrivant ces quelques mots, que je ne peux pas être tenu responsable de mes propos car, me dit-on, je suis sous l’influence des lobbys. J’ignore qui m’influence et de quelle manière, mais cela, peu importe.

QOSHE - L'heure du tout à l'Etat - Cyril Aellen
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L'heure du tout à l'Etat

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06.03.2024

Par lucidité ou par pessimisme, je l’ignore, je ne me faisais guère d’illusion: même si elles sont inscrites dans les statuts ou en tête du programme de nombreux partis, la liberté et la responsabilité sont des valeurs fondamentales qui ne s’invitent que peu souvent au cœur des débats parlementaires. Les places de leurs défenseurs au sein de l’hémicycle sont vacantes depuis longtemps et personne ne semble réellement s’y intéresser. Malgré un probable inconfort, je vais risquer, au moins un temps, d’occuper un de ces sièges, le plus petit pour commencer.

La liberté des uns ne s’arrête plus là où commence celle des autres. La célèbre formule de John Stuart Mill est devenue désuète. La liberté est désormais bornée. Ce n’est plus la liberté de l’autre qui compte, ce qui importe, c’est le seul respect de la règle. L’Etat autorise, rarement. L’Etat interdit, souvent. L’Etat doit imposer ce qui est bien, l’Etat doit prohiber ce qui est mal. Il est attendu de l’élu qu’il perpétue........

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