Même dans les gravures bibliques exposées au MIR, les corps que montre Rembrandt frappent souvent par leur différence. Ils refusent le diktat classique, les canons antiques, l’idéalisation, la sacralisation. Ils ne répondent, semble-t-il, à aucune norme, sinon celle de leur nature propre, de leur présence intense restituée par l’artiste. Les nus des estampes de l’Ancien Testament, Adam et Eve ou la femme de Putiphard, répondent en cela aux grandes peintures qui mettent en scène Bethsabée au bain ou Suzanne surprise par les vieillards. Tantôt ronds, tantôt maigres, le regard doux et inquiet, les nus de Rembrandt semblent habités d’abord, avant d’être des corps sexués ou des modèles, par une très puissante humanité.

Lorsqu’on demande à l’historien de l’art Jan Blanc ce que le maître hollandais peut avoir à nous dire, à nous, aujourd’hui, il évoque spontanément ces corps de femmes et le regard que le peintre porte sur eux. «Pour Rembrandt, dit-il, le corps féminin est une question très complexe et très intéressante. Ce n’est pas un homme qui, dans sa vie personnelle, a montré une grande propension à respecter les femmes. Il adorait sa première épouse, mais ensuite les relations qu’il a eues avec ses servantes ne se sont jamais très bien terminées. En revanche, la façon dont il représente le corps féminin, notamment le corps féminin entravé, la façon dont il représente les visages inquiets, comme celui de Bethsabée menacée de viol par le roi David, indique la manière dont le peintre se projette dans ces figures féminines. Lorsqu’on voit, dans le Suzanne exposé au Mauritshuis, la jeune femme regarder le spectateur d’un air terrifié, comme s’il était lui-même un vieillard voyeur, on voit que Rembrandt responsabilise le spectateur. Il nous pose la question de ce que voir veut dire, de ce que voir un corps nu peut signifier.»

Van Gogh, qui a beaucoup regardé Rembrandt, note dans une de ses lettres que «seul ou presque seul Rembrandt a parmi les peintres cette tendresse dans des regards d’êtres», cette capacité à rendre ses sujets présents, vivants, les amenant ainsi sans doute à s’adresser directement, traversant les siècles, à notre tendresse et à notre humanité.

QOSHE - Rembrandt, une tendresse dans le regard - Eléonore Sulser
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Rembrandt, une tendresse dans le regard

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09.12.2023

Même dans les gravures bibliques exposées au MIR, les corps que montre Rembrandt frappent souvent par leur différence. Ils refusent le diktat classique, les canons antiques, l’idéalisation, la sacralisation. Ils ne répondent, semble-t-il, à aucune norme, sinon celle de leur nature propre, de leur présence intense restituée par l’artiste. Les nus des estampes de l’Ancien Testament, Adam et Eve ou la femme de Putiphard, répondent en cela aux grandes peintures qui mettent en scène Bethsabée au bain ou Suzanne surprise par les vieillards. Tantôt ronds,........

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